A quoi servons-nous?
A quoi servons-nous ?
Si je reprends aujourd’hui la question à mon compte, je n’en assume pas la paternité. Elle est aussi vieille que la Maçonnerie et au-delà, de l'humanité.
A quoi servons-nous ?
Question mainte fois posée en loge, question posée sans relâche parce qu'aucune réponse satisfaisante n'est jamais apportée.
Et ce n'est certes pas ce soir que ça va changer mais ce n'est pas une raison...
Lorsqu’on est confronté à une question et qu’il est difficile de produire une réponse, ou même une hypothèse, c’est qu’il faut mieux décortiquer la question.
Construisons une problématique, comme dirait mon sociologue de père et frère.
Vous êtes prêts ? C'est parti !
Trois éléments figurent dans la question : nous, servir, à quoi…
Sujet, verbe, complément d’objet indirect, forme interrogative.
Voyons le sujet :
"NOUS"
Ça se complique d'emblée, voici la première question dans la question :
À qui donc s’adresse cette question ? Qui est ce "NOUS" ainsi interpellé ?
S’agit-il de l’entité maçonnique tout entière, tous pays et toutes obédiences confondus, de la Grande Loge, d’une loge en particulier ? S’agit-il de la totalité des francs-maçons à la surface du globe ou, plus simplement, de chacun de nous pris individuellement ?
On peut choisir une seule perspective ou tenter de répondre partout. On peut opposer que la Maçonnerie étant constituée de maçons qui sont tous frères, la question ne se pose pas.
Cet argument franchement idéaliste s'écroule tout seul lorsqu’on observe quelle sorte de rapports houleux entretiennent parfois les obédiences, les ateliers ou les maçons eux-mêmes.
Luttes d’influence et stratégies de conquête, pour ne pas parler de malversations justiciables de la correctionnelle, ne sont pas exceptionnelles.
La Maçonnerie serait-elle un panier de crabes peuplé de malandrins ?
Ni plus ni moins que toute autre entité constituée d’humains.
Ni plus ni moins que l’Eglise Catholique Universelle ou que la plus banale des multinationales.
Les tempéraments s’affrontent et les intérêts s’opposent sans la moindre remise en question.
Le tout est nappé d’un discours humaniste aussi généreux que vague qui représente probablement la seule chose que tous les Francs-maçons du monde aient réellement en commun.
La langue de bois n’est pas l’apanage des politiques.
Si nous descendons d’un niveau, ça va peut-être un peu mieux mais c’est loin d’être parfait.
Toutes les loges ne reçoivent pas les membres de toutes les autres loges. Certaines reçoivent les femmes, d’autres pas. Il faut appartenir à une Obédience reconnue.
Une loge libre ? je crois que je vais pouffer. Je ne parle pas des commentaires qui circulent concernant la vie intime des ateliers… On croirait lire Gala ou Voici.
Descendons encore d’un niveau pour parvenir au rayon des individus.
"Vous avez promis d’aimer vos frères. C’est le moment de vous réconcilier avec vos ennemis si vous en rencontrez ici. Regardez et exécutez votre promesse"
Oui bien sûr. J’imagine assez mal le récipiendaire parvenu à ce stade de son initiation dire :
"Alors là, tiens ! J’en vois un là bas, si je peux je lui ferai la peau !"
La naissance maçonnique s’accomplit dans la pureté, mais la suite est une autre histoire.
La pureté s’altère et non seulement les métaux collent au fond des poches mais en plus ils s’oxydent. Et d'ailleurs, peut-on tout pardonner ? On peut probablement tout expliquer, oui, mais pardonner?
Tolérance bien sûr, mais jusqu'où ? Je vois bien que des Maçons sont parfois exclus de la Maçonnerie. Il doit bien y avoir une raison…
Force est de convenir que la franc-maçonnerie n’est pas une entité homogène, tout au plus une idée et des principes. Pour le reste il s’agit bien de groupes d’hommes attachés à des intérêts collectifs ou individuels. La franc-maçonnerie est diverse et fragmentée. Toutes les tentatives d’union se heurtent encore à d'antiques résistances de vieux apparatchiks et autres caciques traditionnels confits dans de hautes fonctions au sommet des pyramides.
On peut faire carrière dans la Franc-maçonnerie comme dans la banque ou le commerce.
S’il faut réunir ce qui est épars, on n'est pas encore couchés et le travail ne risque pas de s’arrêter à minuit.
Voyons maintenant ce que signifie "SERVIR".
Après avoir pioché dans les dictionnaires, j’ai retenu quelques définitions:
Servir :
Accomplir certains devoirs, certaines fonctions.
Aider, seconder.
Etre d'un certain usage : cet appareil peut encore servir.
Servir à : être utile, être destiné à.
J’ai écarté servir de, qui évoque un peu trop l’alibi que la franc-maçonnerie ne veut pas être.
Se servir me paraît également suspect : ambition personnelle, appropriation vulgaire ou utilisation dévoyée ne sont pas acceptables.
Servir lorsqu’il s’agit d’un domestique me paraît incompatible avec un idéal de liberté.
Lorsqu’il s’agit d’un militaire, c’est plus troublant.
Lorsqu’il s’agit d’une cause, on est prié d’y regarder à deux fois…
Il ne s’agira pas non plus de faire fonctionner une arme collective et encore moins de servir la soupe, incompatible également avec un idéal maçonnique.
Passons au troisième élément de la question :
"servir à quoi" ?
Vu de chez moi, il faut bien séparer deux approches du problème :
1/ à quoi devons nous servir ?
2/ à quoi servons nous réellement ?
Première question :
"A quoi devons nous servir ?".
Celle là, j’y réponds facilement et d’une manière sans doute naïve :
Les premiers articles de la constitution l’expliquent clairement.
En résumé : il s’agit de progresser soi-même et d’aider les autres à progresser vers plus d’humanité.
Qu’est-ce que plus d’humanité ? davantage de bonté, de tolérance, de générosité, d’entraide, de compassion, d’empathie et j’en oublie sans doute.
On se rend bien compte alors que la question "à quoi servons nous ?" est indissociable de la question "à qui ?" Servir à l’individu ou à la collectivité ? à la loge, à la famille, à la nation, à l’humanité ?
A qui servent les religions, les ONG, l’ONU, la franc-maçonnerie bref toutes ces instances qui revendiquent haut et fort des valeurs humanistes ?
Seconde question :
"A quoi servons nous aujourd’hui ? "
Représentons-nous un pouvoir capable d’orienter la politique dans un sens bénéfique à nos concitoyens ? De quelle politique voulons nous nous occuper ?
De la politique des partis qui dresse les citoyens les uns contre les autres ?
D’une politique nationale qui nous oppose à d’autres nations dans des conflits d’intérêt et de prestige ? L’ONU représente-t-elle l’humanité ? J’en doute.
En pensant et en philosophant, chacun dans notre petit univers rétréci, servons nous à quelque chose, à quelqu’un ?
J’avoue qu’à mon échelle de maçon de base, les résultats obtenus par mon Obédience, pour ne pas parler de la Franc-maçonnerie, sont un peu illisibles. J’aimerais avoir le retour de nos travaux sur les questions à l’étude des loges et en voir les effets sur la cité. J’attends.
J’ajouterai une troisième question en changeant le temps du verbe :
"A quoi pourrions nous servir ?"
Ou bien
"À quoi pourrions nous travailler pour être utiles à quelque chose ?"
Ne serait-ce pas tout simplement d’amener à la conscience de chacun que tous les hommes sont frères issus de la même mère. Vous me direz Abel et Caïn, Rémus et Romulus… On peut désirer tuer son frère et y réussir parfois.
Ne serait-ce pas d’amener à la conscience de chacun, en commençant par nous-mêmes évidemment, que nous habitons le même vaisseau spatial ?
Une pauvre petite planète de rien du tout, presque exilée au bout d’un bras de notre minuscule galaxie. Ne pourrions nous travailler à comprendre enfin que nous nous disputons les miettes d’un festin dont nous finissons de gaspiller les mets les plus fins ? Que notre vaisseau planétaire fonce dans l’espace en épuisant son carburant et ses réserves sans qu’aucun but ne lui soit fixé ?
Ne pourrions nous tenter de rendre évident pour tous que de mauvais bergers assistés de leurs chiens mènent le troupeau dans leur intérêt et non dans celui des moutons que nous sommes, maçons compris ?
Ne pourrions nous prendre conscience que pendre un tyran, c’est justifier a posteriori notre propre cruauté et notre propre violence ?
Je ne fais campagne pour personne, même si c'est la saison, j’ai simplement peur que mes enfants ne soient appelés à vivre dans une poubelle ou des communautés de cancrelats affrontent des nations de rats pour quelques déchets toxiques.
Si notre devise "Liberté Égalité Fraternité" était un capitaine censé conduire le navire à bon port, l’équipage serait dans un état de mutinerie permanente. Mais une mutinerie hypocrite, larvée, insidieuse. De grands serments en vitrine, des coups tordus dans l’arrière boutique.
Je ne dis pas "aucun principe" puisqu’il en est un qui est partout respecté :
La fin justifie les moyens".
De combien de promesses sommes nous abreuvés en ce moment pour finalement être déçus après une prochaine élection ?
C’est à Thomas Hobbes que nous devons cette formule :
"L’homme est un loup pour l’homme", et c’est sans doute pour cela qu’on voit certains hommes se comporter comme des chiens…
La franc-maçonnerie utilise abondamment le mot "universel". Avec un peu plus de modestie elle pourrait le remplacer par l’adjectif "planétaire" et, en s’unifiant vraiment, donner cette dimension à ses ambitions. Suspendre d’imbéciles querelles intestines pour s’opposer à la guerre, partager ses agapes avec ceux qui ont faim. Commencer à un tout petit niveau en parlant moins d’amour et en le vivant davantage. Proposer un exemple en faisant un peu le ménage en son sein. Cesser de se comporter en communauté religieuse avec ses fatwas symboliques et ses excommunications.
Et surtout, avant de porter au dehors les beaux principes que nous célébrons sans cesse, commencer par les faire fonctionner chez nous.
Oh je vous vois bien venir : Des critiques, rien que des critiques !
Encore un donneur de leçons à pas cher qui nous rebat les oreilles avec ses bons sentiments et ses utopies enfantines.
Et en plus, on ne l'a pas vu depuis Janvier, il est gonflé !
Et lui que fait-il ? Bonne question et je n'ai pas fini de me la poser.
Et c'est d'ailleurs pour n'être plus seul à tenter d'y répondre que j'ai choisi ce chemin avec vous.
Il y a une chose à quoi sert la Maçonnerie : elle sert à prendre conscience de ses préjugés.
Et si nous sommes aussi bornés que les profanes, nous sommes peut-être moins aveugles qu’eux.
La maçonnerie est là pour nous tendre un miroir ; encore faut-il oser s'en saisir pour s'y regarder ; et ça, c’est du ressort de la volonté individuelle.
Je n’ai aucunement l’intention de baisser les bras et, fort heureusement, je suis aidé en cela par nos rituels lorsqu’ils préconisent de "poursuivre au dehors l’œuvre commencée dans le temple".
En fait, si je comprends bien, il nous est recommandé de respecter et de promouvoir au dehors les valeurs maçonniques, ce qui me paraît la moindre des choses.
Où irions nous si les chiens n’étaient pas fidèles, les loups pas féroces et les chrétiens pas charitables ?
Je cherche - et je trouve - des exemples d'humanité. A côté d’événements où des hommes se montrent pire que des bêtes, j’en découvre où d’autres sont admirables de courage et d’abnégation.
Les saint-bernards opposés aux chiens de guerre, La Ligue des Droits de l’Homme contre les néo-nazis… Alors je doute de mon doute. Je me dis que si la Franc-maçonnerie est une image en réduction de la société il me reste à trouver en quoi elle s’en distingue.
Ce que j’entrevois, tout au bout de mon tunnel, c’est une raison d’espérer.
Constatant que Franc-maçon je n’en suis pas moins homme, avec toutes les tares que cela implique, il me faut bien me reconnaître comme tel.
Au fond de ma poche, quelque chose brille... Des métaux… Je compte ma ferraille, je vois mes clés et le reste. Le symbole me parle et la lumière se fait un peu plus vive. Je suis porteur de métaux et je peine à m’en défaire. Mais au moins je les vois, je sais qu’ils sont là, tout prêts à m’entraîner au fond si je tombe à l’eau. Alors je me dis que ma différence, notre différence, c’est peut-être de voir les métaux pour ce qu’ils sont et de souhaiter sincèrement nous en séparer, même si nous n’y parvenons pas toujours.
La pierre à polir, le Temple à construire, ce qui est épars à rassembler, l’œuvre à porter au dehors… Tant de banalités maçonniques répétées en litanies qui tout à coup prennent un sens !
Que d’efforts à faire et que de travail encore…
Heureusement, il y a le plaisir de vous retrouver ; et doublement ce soir puisque je n'ai pas décoré nos colonnes depuis longtemps.
Ce plaisir et cette Fraternité en lesquels j'ai foi sont la seule véritable armure contre le doute et le découragement.
C’est aujourd’hui ce qui m’encourage à poursuivre, au dedans comme au dehors, l’œuvre commencée.
J'ai médit!
Frèdérique LHO:.
R:. L:. Les Templiers de Saint Jean