L'Orphisme

 

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« Tu iras dans la demeure bien construite d’Hadès : à droite il y a une source, à côté d’elle se dresse un cyprès blanc ; c’est là que descendent les âmes des morts et qu’elles s’y raffraîchissent. De cette source tu ne t’approcheras surtout pas. Mais plus loin, tu trouveras une eau froide qui coule du lac de Mnémosyne ; au-dessus d’elle se tiennent des gardes. Ils te demanderont, en sûr discernement, pourquoi donc tu explores les ténèbres de l’Hadès obscur.

Dis : Je suis le fils de la Terre et du Ciel étoilé. Je brûle de soif et je défaille ; donnez-moi donc vite à boire de l’eau froide qui vient du lac de Mnémosyne.

Et ils t’interrogeront, par le vouloir du roi des Enfers. Et ils te donneront à boire l’eau du lac de Mnémosyne. Et toi, quand tu auras bu, tu parcourras la voie sacrée. »

 

Le texte que je viens de vous lire est le premier écrit orphique en notre possession qui date du début du IVème siècle avant Jésus Christ et retrouvé dans la nécropole d’Hipponion sur une lamelle d’or. Du reste, le peu de texte connus orphiques se trouvent sur des lamelles d’or roulées et disposées dans des tombes entre le IVème siècle avant Jésus Christ et le Vème siècle après Jésus Christ. L’orphisme a imprégné la société grecque pendant près de 1000 ans et laissé, bien au-delà, une trace dans notre approche culturelle et artistique jusqu’au début du XXème siècle. Mais de quoi s’agit-il ? Quelle religion a pu avoir une telle importance sans être révélée au grand jour ?

 

L’orphisme, une religion initiatique déviante

 

La Grèce antique a développé une religion civique construite autour d’une mythologie, de fêtes et de jeux qui suivent un calendrier officiel rythmant les saisons. Un bref rappel mythologique s’impose : Zeus, après sa victoire sur Chronos et les titans, organise le monde en harmonie. Ce n’est qu’après que l’homme est créé et qu’il se voit doter d’attributs divins, les arts et le feu.

L’orphisme va se servir de la mythologie officielle en l’adaptant pour lui donner un sens différent qui change fondamentalement le rapport aux dieux.

La cosmogonie « orphique » postule une unité originelle qui est ensuite brisée puis restaurée sous règne de Dionysos. Eros offre l’empire du Monde à Zagreus, première incarnation de Dionysos, un des enfants de Zeus. Les Titans, jaloux et révoltés, s’emparent de lui en le charmant avec des miroirs, le démembrent, le font bouillir et le dévorent. Zeus, horrifié, foudroit les Titans. De leurs cendres naissent les hommes marqués par cette double ascendance. La propension titanesque de l’homme à faire le mal est ainsi compensée par l’énergie divine de Dionysos qui l’incite à faire le bien.

 

L’orphisme, une religion de la réincarnation

 

A la suite du meurtre de Dionysos Zagreus, sa mère, Perséphone, a condamné l’homme oublieux de son origine divine à errer de vie charnelle en vie charnelle. La vie est vue comme une malédiction, une éternelle répétition sans intérêt.

 

L’orphisme une religion de recherche et de quête personnelle

 

Cette réincarnation de l’âme dans une enveloppe corporelle peut être éternelle sauf pour l’homme qui arrive à se souvenir de son origine divine. Pour les orphistes, il y aurait donc une quête propre à l’homme qui est de se réapproprier la part divine qui est en lui sans nier sa part titanesque, cette part audacieuse qui lui permet de braver l’ordre établi. Il s’agit bien de recréer l’unité primordiale.

C’est le souvenir qui permet d’accéder de nouveau au monde divin d’où certainement les lamelles d’or présentes dans les tombes orphiques et dont nous avons parlé en introduction qui permettent au mort de se souvenir et d’éviter le piège d’une nouvelle réincarnation.

 

Maintenant que nous avons donné les grandes lignes de la cosmogonie orphique, il convient de mettre en parallèle cette pratique religieuse avec notre rite maçonnique et voir dans quelle mesure, ils peuvent entrer en résonnance.

 

De prime abord, peu de choses nous relie à l’orphisme si l’on considère ce courant religieux comme une doctrine du Salut qui fait peu de cas pour la condition terrestre. Notre but n’est-il pas de contribuer à l’amélioration morale et matérielle de l’humanité ?

Cependant, en y regardant de plus près, on est en mesure de trouver quelques similitudes.

La principale singularité de l’orphisme est d’introduire l’individu comme sujet. En effet, c’est par naissance qu’on est inséré traditionnellement dans la religion civique grecque. On devient orphique par choix. Pour la première fois, la notion de religion prend un tout autre aspect, personnel plutôt que social.

Une autre singularité peut nous amener à réfléchir. Même si Hérodote évoque des textes écrits par orphée en personne, personne n’en a la preuve formelle. Il s’agit d’une histoire racontée, d’une tradition orale colportée, un peu comme nos mythes fondateurs tels que le meurtre d’Hiram. L’orphisme est avant tout une religion orale, une nébuleuse constituée et enrichie par des apports personnels de prédicateurs d’où le peu de traces et de témoignages écrits dont nous disposons.

Maintenant, si l’on regarde du côté de la symbolique, il me semble que la résonnance prend de l’ampleur.

Nous sommes ici réunis pour retrouver les mots perdus du Maître Hiram, ceux là même qui donnent la clef du grand œuvre. Nous ne disposons que de mots substitués qui permettent de se souvenir qu’il existe des mots perdus. Les orphiques disposent, eux aussi, du souvenir de la part divine. Mais ils retrouveront réellement la divinité qu’après la mort dans la demeure d’Hadès.  N’est-ce d’ailleurs par ce que nous disons nous même : que l’accès à la véritable maîtrise se fait lorsque nous rejoignons l’Orient éternel.

L’autre lien qui nous unit symboliquement est celui du dépassement de la dualité pour essayer de retrouver l’unité première. Notre pavé mosaïque peut également être vu comme dualité de l’homme à la fois titanesque de part son audace et divin quand il fait le bien. Nous sommes en permanence appelé à dépasser cette dualité pour aller de l’avant.

Et puis, il y a des règles de vertu propre à l’orphisme que je laisse à votre réflexion.

L’orphique porte un culte à la pureté. Il doit se vêtir de blanc. Nous avons pu être exalté car nos gants sont restés immaculés. Nous n’avons pas souillé nos gants avec les défauts du mauvais compagnon. La blancheur est pour l’orphique le début du souvenir. Il ne doit pas non plus tuer et rester, comme tout grec de l’antiquité, dans la mesure. Nous sommes devenus maîtres parce que nous n’avons pas tué Hiram.

Cette histoire d’Hiram qui nous a été raconté, que nous avons vécu me rappelle d’ailleurs le mantra que je vous ai lu au début de cette planche. Le texte du souvenir qui est sur les lamelles d’or.

Enfin, ne sommes-nous pas, nous, Maîtres maçons, ces prédicateurs orphiques qui doivent perpétuer le souvenir.

 En conclusion, je souhaite évoquer très brièvement deux développements possibles de l’orphisme.

En premier lieu, nous pouvons citer le pythagorisme qui ira plus loin dans les recommandations et la construction d’une école à proprement parlé faite d’apprentis, de compagnons et de maîtres. L’idée de la purification de l’âme, de la recherche de l’harmonie et du secret de cette harmonie sont une extension de l’orphisme. J’ai longtemps réfléchi à aller plus loin dans ce développement mais je suggère qu’il puisse faire l’objet d’une nouvelle planche.

Le deuxième développement, plus classique, est celui du christianisme originel pour qui la vie est une épreuve. En ajustant sa conduite dans le monde charnel, le chrétien prétend pouvoir accéder à la vie éternelle.

 

Dorian C:.

 

 



02/10/2021
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