LA PAIX QUI REGNE SUR LA TERRE N’EST PAS L’ABSENCE DE GUERRE, NOUS DIT SPINOZA, MAIS UNE VERTU QUI NAIT DE LA FORCE DE L’AME ? 08.01.2025
Plus encore que pour d’autres sujets, il me paraît indispensable de contextualiser Spinoza et ses écrits.
Issu d’une famille juive marrane portugaise, qui a fui l’inquisition, Spinoza naît à Amsterdam le 24 novembre 1632. Les Provinces Unis sont alors l’épicentre des guerres de religion, en pleine guerre de 80 ans qui oppose les troupes protestantes du Prince d’Orange à celles de l’Espagne et du Saint Empire. Cet épisode ne s’achèvera qu’en 1648 par la signature du traité de Westphalie. Ce traité est connu dans le Monde entier et résonne encore de nos jours au moment où la Russie envahit l’Ukraine comme fondement du droit international.
La propre vie de Spinoza est marquée par ces conflits. Banni à 23 ans de la communauté juive d’Amsterdam, Spinoza est victime d’une tentative d’assassinat et devra fuir à La Haye.
Ecrivain sulfureux, jugé hérétique, il ne verra que deux de ses ouvrages publiés de son vivant : un commentaire de Descartes et le Traité Théologico – politique rapidement interdit, interdit aux Provinces Unis pourtant réputés pour son esprit de liberté.
Pour résumer, c’est dans une Europe guerrière, guidée par les passions et la violence, que vit Spinoza. C’est dans cette période troublée que se développe sa pensée, mais quelle est-elle ?
Je commencerai et vous demande de m’en excuser par un extrait du traité politique de Spinoza dont est issu notre sujet : « Un Etat où les sujets ne prennent pas les armes par ce seul motif que la crainte les paralyse, tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il n’a pas la guerre, mais non qu’il ait la paix. Car la paix, ce n’est pas l’absence de guerre, c’est la vertu qui naît de la vigueur de l’âme, et la véritable obéissance est une volonté constante d’exécuter tout ce qui doit être fait d’après la loi commune de l’Etat. Aussi bien une société où la paix n’a d’autre base que l’inertie des sujets, lesquels se
laissent conduire comme un troupeau et ne sont exercés qu’à l’esclavage, c’est n’est plus une société, c’est une solitude ».
Ainsi, ce qui intéresse Spinoza, ce n’est pas la guerre mais la servitude. Mais, dans un contexte de guerres de religions, n’est-ce pas la même chose. Face aux préjugés, le choix se pose entre servitude et liberté, servitude face aux dogmes ou liberté de conscience et d’action. Être en paix, c’est être en paix avec soi-même, avec sa conscience.
Or, comment y parvenir ?
« Dieu constitue la nature de l’esprit humain » et « l’idée du Corps et le Corps, c’est-à-dire l’Esprit et le Corps, est un seul et même individu, que l’on conçoit tantôt sous l’attribut de la Pensée, tantôt sous celui de l’Etendue ». Je cite directement les propos de Spinoza dans l’Ethique.
Spinoza est un philosophe moniste. Pour lui, il n’existe pas de différence entre la matière et l’esprit. Tout peut être réduit à un principe unique. Le Monde n’est fait que d’une substance unique qui se décline en une multitude de variations. Il y a chez Spinoza une part laissée à la connaissance intuitive, une équivalence de Dieu qui se résume dans la Nature. Pour Spinoza, la connaissance est de trois niveaux : la connaissance première porté par les sens qui ne donnent qu’un aperçu sommaire de ce qui nous entoure (elle ne peut être que partielle). Le second niveau de connaissance est porté par la raison, c’est la connaissance que l’on peut avoir sur un ensemble de choses que l’on peut regrouper. Il y a enfin la connaissance intuitive, celle de l’absolu qui unit tout et toute chose. On est sur le plan du divin et de l’esprit.
Nous sommes ainsi double : à la fois matière et esprit. Trouver la paix, c’est régler nos actions sur ce principe. C’est en faisant cet effort que nous réglerons le désordre et retrouverons l’unité. La paix, comme le bonheur, se cherche dans la libération de la servitude des passions, par une maîtrise éclairée du désir, plutôt que par sa suppression. Pour y parvenir, Spinoza encourage la réflexion comme moyen, permettant ainsi de vivre en accord avec la Nature et donc de parvenir au bonheur et à la paix.
Je ne sais pas pour vous mais, pour moi, la philosophie de Spinoza fait résonner un grand nombre de concepts qui nous sont familiers en Franc-maçonnerie. Ne sommes-nous pas là pour réduire la distance entre la
volonté individuelle et la Loi universelle. Ne croyons-nous pas à la manifestation multiple dans l’unité principielle ? La Loi universelle, l’unité principielle, n’est-ce pas le concept de nature défendu par Spinoza ?
Pour ma part, j’en suis certain et le chemin nous est donné au 1er degré.
« Que la paix règne sur la terre ! Que l’Amour règne parmi les hommes ! Que la joie soit dans les cœurs ! » n’a rien d’une invocation ou d’un mantra New Age. C’est le but de notre chemin.
L’introspection est au cœur de notre pratique. Je pense, avant tout, au cabinet de réflexion : Visite l’Intérieur de la Terre et en Rectifiant tu trouveras la Pierre Cachée. Cette pierre cachée qui se trouve en nous, au cœur de la matière, de quelle nature est-elle ? A quoi correspond-elle ? Notre Nature pour rependre les termes de Spinoza ou l’Esprit, ce principe ou cette Loi universelle qui nous lie. Serait-ce ce qui reste de nous une fois qui nous avons libéré notre être des préjugés ou des passions.
Ces passions, on nous invite également à les maîtriser par le signe pénal.
Ce que nous cherchons est d’essence supérieure, voire divine pour certain. Le bijou du second surveillant nous y invite en tout cas. Ce symbole qui relie notre moi profond à la foi au centre de la terre et au ciel, la matière et l’esprit.
Tous ces outils symboliques nous indiquent un chemin pour explorer la dualité humaine. Quand nous méditons, que nous réfléchissons sur ce que nous sommes vraiment, dépossédés de tous nos apparats sociaux (lorsque nous avons réellement laissé nos métaux à la porte du temple), nous entendons cette petite voix, celle avec qui nous dialoguons. Cette petite voix n’est-t-elle pas cet esprit que nous cherchons ? A peine audible au début, perturbée par les signaux extérieurs, cachées par ce qui fait de nous des animaux sociaux, Spinoza, comme la méthode maçonnique nous apprend à la rendre plus forte et plus pure. Notre temple intérieur referme l’esprit, à nous de le découvrir.
La spécificité de Spinoza est bien de nous rappeler que tout se passe en l’homme sans apport extérieur. Il existe bien une dualité que l’on peut dépasser si on les met en résonnance. Et c’est l’âme, la force de l’âme qui fait le trait d’union en l’esprit et le corps. L’esprit n’est pas en dehors du corps, on devient acteur et nous plus sujet. C’est en ce sens que la servitude disparaît et que nous sommes en Paix.
Pour conclure, je dois avouer que Spinoza a été longtemps ma bête noire. Je ne comprenais absolument rien à sa philosophie que ce soit au lycée ou en classe préparatoire. Je remercie donc notre Vénérable maître de m’avoir permis de m’y replonger après quelques années de maçonnerie car j’ai enfin pu comprendre ce qu’il cherchait à nous dire.
« D’où il appert combien le Sage est fort et vaut mieux que l’ignorant, qui agit par le seul appétit lubrique. L’ignorant en effet, outre que les causes extérieures l’agitent de bien des manières, et que jamais il ne possède la vraie satisfaction de l’âme, vit en outre presque inconscient et de soi, et de Dieu, et des choses, et dès qu’il cesse de pâtir, aussitôt il cesse aussi d’être ».
Tandis que le Sage « conscient de soi, et de Dieu, et des choses avec une certaine nécessité éternelle, jamais il ne cesse d’être ».
Spinoza nous invite à entrer dans les voies de la sagesse et à élever notre connaissance.
Que la Paix règne sur la terre !
D:.C:.
08.01.6025