L'Egalité

egalité

 

Le sujet de réflexion que je vous propose ce soir est l’Egalité, vaste concept dont je n’ai, évidemment, aucune prétention d’avoir fait le tour.

En un long préambule je souhaite vous faire part de mon trouble, que je ressens depuis bien longtemps, sur ce terme et cette notion d’égalité dont la connotation et le sens sont pour moi, fuyants.

 

L’égalité, le pivot de notre acclamation, est sans doute le terme le plus difficile à cerner !

 

Par exemple, on comprend bien qu’une inégalité flagrante produise un sentiment d’injustice, l’injustice serait alors la mesure de l’égalité perdue… Est-ce pour autant que l’égalité produise un sentiment de justice ?

Pour illustrer ma pensée, je vais partager avec vous quelques citations relatives à l’égalité et vous verrez combien il est difficile de qualifier ce terme et combien varient les connotations qu’on peut lui prêter.

 

Ainsi Victor Hugo nous affirme magistralement dans « Le droit et la loi » :

·        « Liberté, Egalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à reprocher. Ce sont les trois marches du perron suprême. La Liberté c’est le droit, l’égalité c’est le fait, la fraternité le devoir. » et là, aucun doute, ma planche est terminée !

Anatole France dans  « Le Lys Rouge » : (avec ironie)

·        « La majestueuse égalité des lois, qui interdit au riche comme au pauvre de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues, de voler du pain…

George Mikes dans « Comment peut-on être anglais », nous dit avec malice :

·        « Par égalité, chacun comprend qu’il ne vaut pas moins que son voisin, mais que son voisin est loin de le valoir » 

Gandhi avec profondeur :

·        « œil pour œil et le monde finira aveugle »

Alain dans « Eléments de doctrine » relativise grandement le principe d’égalité, je cite :

·        « Celui qui définirait la démocratie par l’égalité des droits et des charges, la définirait assez mal car je conçois une monarchie qui assurerait cette égalité des citoyens ; on peut même imaginer une tyrannie fort rigoureuse qui maintiendrait l’égalité des droits et des charges pour tous, les charges étant très lourdes pour tous et les droits fort restreints. »

Et il ajoute :

·        « Si la liberté de penser, par exemple, n’existait pour personne, ce serait encore une espèce d’égalité »

Et le malaise croît encore quand Nietzsche dit dans « Zarathoustra » :

·        « Prédicateurs de l’égalité ! Vous êtes pour moi des tarentules pleines de rancunes cachées ! »

 

Vous voyez la tâche est complexe et votre réflexion indispensable, et votre pierre tout autant pour consolider l’édifice !

Quelques définitions prosaïques : 

Egalité : du latin Aequalis = Egal

·        même valeur, même longueur, même importance

Ou encore, Qualité de ce qui est égal :

·        régularité : égalité de l’humeur

·        mêmes droits

Ainsi l’égalité serait une qualité ??? ou plutôt un état dans lequel deux choses, deux êtres présentent des caractéristiques identiques. Mais cette notion recouvre des sens différents. Ainsi, dans l’histoire, les Grecs, notamment les Athéniens, ont compris l’égalité comme un principe à la fois juridique et politique défini d’ailleurs comme principe d’égalité de tous devant la loi (isonomie). Dans le prolongement de ce principe, les philosophes grecs ont rapidement formalisé le fait que chaque être humain était égal à un autre face à la recherche de la vérité comme à celle de la satisfaction de ses besoins, comme à la recherche du bonheur.

L’évolution de la pensée, comme des faits, tout au long des siècles, montre cependant qu’une telle recherche de l’égalité conduit à concevoir celle-ci, probablement, comme : « la meilleure ennemie de la liberté et de la fraternité ».

Voyons maintenant cette conception de :

1 – L’égalité meilleure ennemie de la liberté et de la fraternité

1.   Égalité versus liberté

L’égalité devant la loi suppose l’action d’une volonté politique et ce n’est pas un hasard si Jean-Jacques Rousseau préconise, dans son discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, la mise en place d’un « contrat social ». Mais, pour que les hommes deviennent tous égaux par « droit et convention », il faut mettre en place des compensations permettant de suppléer aux inégalités physiques, intellectuelles subsistant à l’état de nature ! L’égalité n’est pas une chose naturelle. Il y a des grands et des petits, des bruns et des bonds, des blancs et des noirs, des rapides et des lents, etc. Ces différences sont le fondement de la richesse humaine. Une fois hiérarchisées, ces caractéristiques naturelles constituent alors des inégalités.

Je ne vais pas citer la Déclaration des Droits de l’Homme, ou encore celle de l’Indépendance des États-Unis; je souhaite simplement me focaliser sur la volonté politique plus que sur le principe selon lequel tous les hommes naîtraient libres et égaux en droit.

L’obtention d’une égalité formelle ne peut que révéler et confirmer les inégalités réelles mais aussi conduire à la réduction des libertés individuelles.

Ainsi, pour une partie de la tradition libérale, (représentée notamment par Friedrich Hayek), l’égalité des chances tout comme l’égalité de chacun face à la loi ne peut s’obtenir que par un État providence et contraignant, conduisant progressivement au totalitarisme, à la servitude des peuples et par conséquent à la fin de notre liberté individuelle et collective. Cette route vers la servitude prend très exactement le contre pied des idées du Siècle des Lumières. Souvenons-nous de ce que disait Lacordaire « entre le riche et le pauvre c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère », mais la loi – pour satisfaire les besoins économiques et sociaux des citoyens - peut devenir aussi un moyen au service d’une idéologie par exemple marxisme ou communisme, susceptible de réduire, de condamner, ou d’interdire des libertés pourtant inaliénables. Sous prétexte d’égalité, le totalitarisme peut rapidement s’instaurer. Tocqueville écrivait : « les Français veulent l’égalité dans la liberté et s’ils ne peuvent l’obtenir ils la veulent encore dans l’esclavage, c’est bien pourquoi ils risquent de n’avoir ni l’une ni l’autre ».

2.   Égalité versus fraternité

L’égalité est un facteur de cohésion sociale dans la mesure où elle est réductrice des inégalités inhérentes à la personne humaine comme à l’économie de marché. C’est ainsi qu’a été inventé le concept de « discrimination positive » et l’idée, paradoxale, selon laquelle il s’agit moins de rechercher l’égalité dans l’ensemble des sphères publiques ou privées que de trouver une sorte d’équilibre, de compensation afin que personne ne soit totalement perdant ou totalement gagnant, par exemple dans la sphère de l’emploi, à l’école, dans la vie sociale etc. En d’autres termes, il convient d’avantager ici les femmes, là les plus jeunes, ailleurs les seniors, les plus pauvres, ceux qui ont un handicap, une autre couleur, un gaucher plutôt qu’un droitier, etc. Un tel système peut évidemment être ressenti non seulement comme égalitaire mais aussi comme équitable mais il pose néanmoins deux questions que l’on pourrait qualifier de validantes :

1.   Quelle autorité, aujourd’hui, est susceptible d’apprécier objectivement l’importance et le niveau des inégalités ?

2.   Quelles mesures impartiales permettraient de contrôler la validité du rééquilibrage engendré par les discriminations positives ?

Le politologue et juriste américain John Rawls définit ainsi une « société juste » comme celle où les lois permettent de garantir à chacun des chances équitables de vivre dans les meilleures conditions possibles sans pour autant nécessairement affecter durablement les autres membres de la société. On retrouve la même idée sur le plan économique avec ce que l’économiste Pareto dénomme l’optimum : une société est à la fois efficiente et égalitaire lorsque nous ne pouvons augmenter les satisfactions d’un individu sans réduire au moins celle d’un autre individu.

Il ne s’agit donc pas là de construire une société égalitaire mais plus exactement de bâtir une société juste ou équitable. Mais ceci suppose selon la formule de Gustave Thibon de rabaisser jusqu’à nous l’être qui nous dépasse tout autant que de nous élever jusqu’à lui. L’égalité devient ainsi une « déclination » contraire à « l’inclination » altruiste qu’est toute fraternité. Pire encore, afin de se protéger de cette déclination tout en vivant une fraternité, l’on se regroupe au sein de communautés pour y partager les mêmes « valeurs » et objectifs.    La montée de certains extrêmes, la création de tribus, l’acceptation de rationalités affectives (telles qu’analysées par le sociologue M. Maffesoli), conduisent à créer certes des fratries, mais surtout à concevoir la fraternité comme un concept qui ne peut se vivre que de manière balkanisée. (morcelée) Voilà donc notre Egalité responsable et coupable : responsable de pseudo fraternité et coupable de communautarisme !

La recherche systématique et poussée de l’égalité peut ainsi conduire à la réduction des libertés tout autant qu’à la fin de l’idéal collectif de fraternité : Gustave Thibon l’affirme « la liberté et la fraternité n’ont pas ici bas de pire ennemie que l’égalité ».

Alors, comment sortir de ce paradoxe et faire en sorte que l’égalité devienne la meilleure amie de la liberté et de la fraternité ?                                 

La réconciliation de l’égalité avec ces deux notions peut être possible dès lors que l’on conçoit l’égalité autant comme un discours sur les moyens que comme un concept de finalité.

2.   L’égalité un moyen  qui doit devenir également une finalité

1.   L’égalité comme moyen

Une première partie de la réponse se trouvera sans doute dans l’idée qu’il ne faut pas que l’égalité soit la fin poursuivie par le système social mais beaucoup plus un moyen d’accès à une plus grande liberté comme à une meilleure fraternité. S’il ne s’agit en effet que d’un moyen, en d’autres termes d’une loi, d’un axiome qui n’a pas de but propre, alors l’égalité – dans le respect de la liberté comme de la fraternité - devient la condition déterminante pour dialoguer ensemble en toute connaissance de cause. L’égalité est alors simplement un « principe » de respect de chaque locuteur : le « je et l’autre » ont mêmes droits et mêmes devoirs, s’ils veulent vivre ensemble. Telle est la définition donnée par Jürgen Habermas, philosophe allemand de la deuxième moitié du siècle dernier, d’une société fondée sur la « raison communicationnelle ». L’égalité ne se conçoit bien et ne s’énonce clairement que dans le cadre d’une politique délibérative où les revendications de justice et de liberté sont abordées entre égaux et sans ego. La difficulté de mise en pratique de ce respect du locuteur suppose néanmoins deux conditions : un langage commun où signifiant et signifié ont le même sens et la même valeur, et la mise en pratique de règles ou de rites permettant au dialogue de s’établir. C’est bien ce que nous faisons en maçonnerie; c’est bien alors l’égalité qui facilite l’altérité. Je suis égal à l’autre, je suis l’autre de l’autre. Cette relation d’égalité suppose d’abord respect de soi ; considérer l’autre à égalité signifie lui donner la valeur que l’on s’accorde à soi-même. Si je ne m’accorde aucune valeur, comment pourrais-je, sans le mépriser aussi, considérer l’autre comme mon égal ?

Ceci est un bon exemple du dépassement du paradoxe que nous évoquions précédemment mais cela ne voudrait-il pas également dire que l’égalité est réservée à une élite ayant accès à de tels cénacles : ainsi selon  Solon « l’égalité n’est possible qu’entre citoyens et même si les dirigeants sont choisis par tirage au sort afin de garantir une véritable démocratie, la propriété c’est-à-dire la richesse sépare les hommes et leurs droits respectifs ». Et même, s’il ne s’agit pas de richesse matérielle, il faut néanmoins posséder ces richesses que sont le loisir, l’appétence, la volonté, la persévérance, la capacité intellectuelle pour devenir égaux dans l’espace choisi, qu’il se nomme loge ou territoire national. L’égalité, vécue comme un moyen, répond en partie au problème posé, mais n’est pas pleinement satisfaisante pour résoudre notre paradoxe initial.

2.   L’égalité, un concept de finalité

S’il existe une finalité sous jacente à la nature des choses alors l’homme obéit à une volonté supérieure ou créatrice qui – au-delà du principe de causalité – soumet chaque être à une finalité injectée et permanente. C’est sur ce discours que sont fondées nos croyances et nos religions mais aussi la lumière qui éclaire nos travaux et ce que nous dénommons Grand Architecte de l’Univers. Et sous cette lumière, nous sommes tous égaux car nous sommes tous fils de la lumière. Notre rituel nous le dit : nous avons abandonné les métaux à la porte du temple – (principale source d’inégalité) – nous sommes venus travailler ensemble sous l’autorité du Vénérable Maître – (notre abandon volontaire d’une partie de notre liberté) - et si nous reconnaissons nos différences – (nous ne portons pas le même tablier ou ne jouons pas le même rôle dans la théâtralisation du travail en loge) – nous veillons néanmoins à respecter et écouter l’Autre que nous dénommons Frère et qui nous reconnaît comme tel. La récompense de ce travail est la Fraternité. Celle-ci naît entre les hommes lorsque, différents les uns des autres, ils sont animés du même effort de pensée, conscients de poursuivre le même but . Dans la sérénité de son intériorité au moins identifiée si ce n’est construite, chacun peut s’ouvrir à l’autre, sans crainte et sans craindre le fractionnement de son identité. C’est le commencement du chemin de la liberté.

Ainsi nous pouvons réconcilier l’égalité avec la liberté et la fraternité. Mieux encore l’égalité devient alors essentielle et consubstantielle (interdépendante) à la liberté et à la fraternité car l’une et l’autre ne peuvent s’exercer qu’en toute égalité. MAIS, une telle attitude est-elle possible en société ? C’est une immense question ! Fort heureusement nous sommes appelés à continuer à l’extérieur le travail commencé en loge. Et la chose publique n’aurait-elle pas un sens supérieur, si elle était appréhendée dans un cadre similaire au nôtre ? En d’autres termes une République où chacun pourrait mieux voir, mieux comprendre et mieux apprendre pour mieux agir. Autre grande question : une telle organisation rationnelle de la société est-elle possible ? Au-delà des expériences ou des utopies comme celles de Proudhon (banque mutualisée des ouvriers, la banque du peuple) ou de Fourrier, (Phalanstères et familistères) il paraît difficile pour ne pas dire impossible de faire vivre ensemble égalité, liberté et fraternité sauf à vouloir irriguer la société avec les valeurs qui sont les nôtres ; ce que certains maçons ont déjà fait (Gilbert de La Fayette, est resté toute sa vie fidèle aux principes de liberté, de tolérance, d’égalité et de fraternité et l’a toujours transmis dans ses actes); ce que les Maçons doivent continuer à faire dans le monde profane par volonté, par l’exemplarité et la transmission.

Conclusion

« Il n’y a plus ni Juifs, ni Grecs, ni esclaves, ni libres, ni hommes, ni femmes, nous sommes tous Un dans la lumière ». Il ne s’agit pas ici seulement de l’épitre aux Galates mais également des obligations du franc maçon telles que les définissent les constitutions d’Anderson. L’Ancien Testament le précise aussi « notre âme divine est la même pour tous ». Vous le voyez, nous quittons vite le principe de finalité pour aller vers un principe de spiritualité. Le surpassement du paradoxe de l’égalité versus liberté et fraternité ne se résout sans doute pas selon les seules « règles » : à chacun selon ses mérites ou à chacun selon ses besoins mais plus certainement « à chacun selon sa dignité », et si nous oeuvrons bien, notre dignité de Fils  de La Lumière.

La réalité de la vie nous demande d’élargir notre champ de conscience d’un plan physique à un plan spirituel. Elle nous demande de ne pas subir notre condition première mais de choisir de la dépasser et de nous « ré-Orienter » de l’apparence vers l’essence des choses.

Tout commence et tout finit par une égalité essentielle : la naissance et la mort ; entre les deux la vie qui sera en permanence la modification de notre regard sur le monde, il faut trouver son chemin, son « Orient »  … Se mesurer à soi-même et non à l’autre ; c’est dans cet effort que s’acquiert peu à peu une conscience élargie pour laquelle l’égalité n’est plus un problème mais un bonheur

 

Aequalis vient aussi de Aequus qui veut dire juste, équitable

 



06/05/2021
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