La Bougie

 

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La Bougie

 

Symbole discret, mais important, par son odeur, son toucher lisse, la lumière tamisée qu'elle répand et qui contribue beaucoup à créer l'ambiance de nos tenues : nous ne saurions concevoir de réunions sans elle. Le M∴des Cérémonies sait à quoi s'en tenir, sur son importance, par la peur qu'il ressent parfois, quand par hasard, les bougies manquent dans notre tiroir, lorsque l'une d'entre elles est sur le point de s'éteindre en pleine tenue ou lorsque la cire est sur le point de couler sur la manche de sa veste.

L'acte d'allumer une bougie est toujours porteur d'une certaine magie, puisque dans toutes les liturgies et dans toutes les séances d'occultisme, les bougies tiennent leur place.

 

J'ai donc cherché l'origine et le sens du mot et de ses synonymes ; puis je me suis interrogé sur l'utilisation spécifiquement maçonnique que nous faisons des bougies, avant d'envisager leur symbolisme général.

 

Le mot bougie, vient du nom propre de la ville algérienne de Bougie ou de Bidjaya (Bejaia)

d'où l'on exportait beaucoup de cire; impossible d'en tirer quelque sens symbolique. La bougie, cylindre d'acide stéarique ou de paraffine, n'est pas souvent, aujourd'hui en cire d'abeilles, chère, molle et collante, désagréable donc, malgré sa bonne odeur de miel. Autrefois, la cire était rare, souvent réservée aux cierges d'églises d'où l'usage de chandelle de suif, ou même d'adipocire, c'est-à-dire de graisse de cadavres récupérés dans les amphithéâtres…un moyen comme un autre de devenir Lumière après sa mort !

 

C'est Chevreuil qui découvrit l'acide stéarique au début du XIXème siècle, la "bougie de ménage" remplaça peu à peu la chandelle mal odorante et vite épuisée, et resta longtemps le seul moyen d'éclairage, avant l'invention des lampes à pétrole, puis à gaz et électriques au XXème siècle. Mais les bougies que nous utilisons aujourd'hui sont récentes puisque ce n'est que depuis début 1940 que l'acide stéarique, trop cher a été remplacé par la paraffine, issue du pétrole et moulée dans des machines beaucoup plus performantes, capables de colorer et de donner toutes sortes de formes à la bougie.

Cet aspect relativement moderne de la fabrication des bougies et ce que je vous ai expliqué sur leurs compositions, me conduit à me demander à quoi pouvaient ressembler ce qu'utilisaient les FF∴MM∴du XVIIIème siècle et l'odeur qui se répandait ; dans leurs Temples, l'ambiance devait être un peu différente de la nôtre.

D'ailleurs le mot "bougie"a plusieurs autres sens, tous marqués par le modernisme :

 bougie d'allumage dans les moteurs, unité d'intensité lumineuse, aujourd'hui remplacé par le "candela", bougie chirurgicale ou pharmaceutique, pour dilater l'urètre ou insérer un médicament dans le corps, bougie filtrante en chimie; et d'autres sens encore où l'on chercherait vainement un quelconque symbolisme…

 

Pour approcher ce symbolisme, il faut chercher plus loin dans le temps, vers la chandelle, ancêtre de la bougie, et définie comme une tige de suif, de résine ou autre corps gras.

 

Beaucoup d'expressions anciennes nous sont restées aujourd'hui, témoignant de la manière d'interpréter ce petit objet quotidien :

"Brûler la chandelle par les deux bouts, tenir la chandelle, voir 36 chandelles, des économies de bout de chandelle…"et plusieurs expressions comportant ce mot aujourd'hui, connotent le plus souvent la verticalité :" monter en chandelle pour un avion, une fusée en chandelle pour un feu d'artifice, un ballon en chandelle pour le football, par exemple."

En construction et dans les mines, c'est un bois d'étai vertical.

On voit bien, donc, que la chandelle est surtout retenue pour sa verticalité alors que la bougie l'est pour sa luminosité.

Ces deux entités trouvent leur synthèse dans le cierge des églises, version liturgique agrandie de la bougie et qui connote à la fois la verticalité et la lumière, puisque le cierge, dans toutes les religions, et plus spécialement dans la catholique, représente la lumière divine. Quelque part, nos bougies, représentent, elles aussi, à la fois la verticalité et la lumière, en cela images des cherchants que nous sommes.

Une coutume de Noël qui se pratique dans certains foyers m’a beaucoup touchée et intriguée par son symbolisme. Je vais vous la raconter. Le père de famille allume trois bougies, une rouge, une bleue et une verte, avant de commencer le repas de Noël, et déclare devant la bougie rouge ;

« J’allume cette bougie en souvenirs de tous les morts qui nous ont précédés sur cette terre, et sans qui nous ne serions pas qui nous sommes, »

Devant la bougie bleue ;

« J'allume cette bougie en témoignage de fidélité à tous les parents et amis absents qui ne peuvent se trouver avec nous ce soir, mais qui partagent notre foi dans le retour de la Lumière »,

Et devant la bougie verte ;

« J’allume cette bougie en espérance de tous les enfants à naître, qui perpétueront à leur tour le feu du soleil… »

 

 Peut être, cette fois ci, nous pouvons y trouver, un certain symbolisme.

 

Dans le judaïsme la bougie et sa flamme symbolisent l'essence de l'Homme. Ceci est basé sur l'idée exprimée dans les proverbes 20 :27

"Le souffle de l'Homme est une lampe de l'Eternel" et "l'âme de l'homme est un flambeau divin".

L'âme," nechama", est l'élément spirituel, éternel et indestructible de l'être humain.

 

Pendant nos tenues au Premier degré, nous allumons 6 bougies, mais pas toutes au même endroit, ni pour signifier la même chose, puisqu'il y a deux fois trois bougies – trois sur le flambeau du V∴M∴, trois sur les piliers force, sagesse et beauté, plus celle qui sert à l'allumage, et qui, dans d'autres rituels est appelée "boutefeu", ce qui souligne bien son rôle fondamental : transmettre la lumière.

Trois descentes successives de la lumière vont se réaliser ;

Du flambeau du V∴ à la bougie tenue par le M∴ des Cérémonies,

De cette bougie aux trois piliers,

Ces deux niveaux de descente de la lumière paraissent symboliser la construction du monde par la lumière originelle ; Puisque cette circulation de la lumière va de la source, de l'Orient, du Delta, matérialisé pour moi par le flambeau du V∴M∴, vers la création, vers l'homme pour nourrir l'Être lumineux enfermé dans nos corps et lui permettre un retour vers l'origine.

 

Et, lorsque la lumière éclaire nos travaux, chaque F∴ est un flambeau qui transmet sa lumière aux autres FF∴. Le Maître transmet sa lumière à ceux qui sont sur la voie et se nourrit lui-même à la flamme d'un plus initié que lui. Le devoir de l'initié est de faire resplendir la lumière dans le cœur du chercheur et de veiller à ce que cette lumière ne soit pas interprétée comme le symbole de la lumière ordinaire mais comme le symbole de l'inexprimable. Un Maître, quelqu'il soit, est responsable des apprentis et de leur éveil et doit leur indiquer que la lumière ne se trouve pas dans les plaisirs et les satisfactions, mais au-delà des émotions sur le plan des sentiments de Sérénité et d'Amour….

 

D'autres usages complémentaires de la bougie s'ajoutent à ce symbolisme lors d'occasions précises.

Lors de l'initiation, le V∴M∴ brûle les enquêtes et le testament philosophique du ou des récipiendaires, autre usage de la bougie, celui-ci, purificateur et rénovateur.

 

Il est donc clair que l'importance de la bougie tient au symbolisme de la flamme qu'elle porte.

Pourtant, ce n'est pas son seul intérêt. D'abord, la bougie tire aussi son sens du fait qu'elle représente le centre et la circonférence. Au centre du cercle est la mèche d'où est issue la flamme, parce que la circonférence de la cire fond peu à peu, et coule de l'extérieur vers l'intérieur du cercle, vers le centre qu'elle nourrit avant de disparaître lumineusement. Quand on regarde brûler une bougie dorée, on voit très bien le mouvement des petites particules de métal qui glissent doucement de la circonférence vers le centre, et qui, n'étant pas immédiatement brûlées, se meuvent en rond, verticalement, tout près de la mèche, en dessinant un peu le signe de l'infini. Si l'on essaie de s'identifier à ces minuscules grains dorés, on a l'impression de voir le cosmos en mouvement.

D'ailleurs, de même que D.ieu a façonné la créature d'argile puis a insufflé en elle la vie, de même l'homme façonne la bougie, puis lui communique le feu, fait d'air et de flamme.

La flamme représente donc le souffle divin,"Rouach Elohim" en hébreu,"pneuma" en grec, "spiritus" en latin, esprit ou souffle de vie, qui se trouve symboliquement au centre du cercle de l'univers qu'il met perpétuellement en mouvement.

C'est pour cette raison que nous ne devons jamais souffler sur une bougie pour l’éteindre : notre souffle destructeur au lieu d'être créateur, serait un contresens, puisqu'en tant qu'humains nous sommes incapables de rallumer la bougie avec lui. Nous avons donc un éteignoir, grâce auquel nous privons d'air la flamme, qui se trouve obligée, en quelque sorte, de rentrer dans la mèche, pour pouvoir être ranimée ultérieurement.

Ainsi la flamme n'est pas détruite mais intériorisée, ce qui correspond d'ailleurs à ce qui se passe en nous lorsque, les travaux terminés, nous intériorisons la lumière acquise en Loge pour la faire, discrètement, rayonner au dehors.

Mais si la bougie ne prend son sens qu'allumée, il ne faut pas oublier que la flamme ne peut apparaître seule, et qu'elle demeure un ensemble, que l'on peut analyser en trois parties ;

La cire, la mèche et la flamme, correspondant au corps, à l'âme et à l'esprit. Ce serait assez simple si cela tenait debout tout seul…mais de même qu'un homme a besoin d'un soutien matériel pour subsister dans le monde, de même la bougie a besoin d'un bougeoir pour tenir avec stabilité dans notre Temple.

Ne trouvez-vous pas que finalement la bougie nous ressemble, nous montrant autant la fragilité humaine que le lien merveilleux de l'homme avec le cosmos. De plus, on regarde toujours une bougie de bas en haut ; toute la bougie se résout dans la flamme qui devient symbole d'individualisation et d'unicité de lumière personnelle. "C'est dans le souvenir de la bonne bougie que nous devons retrouver nos songes de solitaire, écrit Bachelard, la flamme est seule, naturellement seule, elle veut rester seule. "Quand l'homme comme aujourd'hui, est au sommet de l'involution, il est au plus loin de son origine cosmique, mais en lui brûle toujours la flamme divine. Le but de l'initiation est précisément de retrouver en nous cette flamme au milieu des cendres de l'existence physique, puis de la raviver.

S'il est donc évident que le bougeoir fait partie de la bougie, puisque jamais nous ne voyons l'une sans l'autre, c'est que la bougie ne comporte pas trois parties mais quatre, qui peuvent correspondre aux quatre éléments à condition que l'on admette qu'il ne saurait y avoir de flamme sans air, et donc que la flamme représente non le feu mais l'air. Le bougeoir correspondrait donc à la terre, la cire à l'eau, la mèche au feu – d'ailleurs il est exact qu'elle brûle, noircit et disparaît en cendres, ce que ne fait pas la cire- et la flamme à l'air.

 

La flamme, union et sens de l'ensemble, représente aussi l'Amour, aussi bien dans la classique métaphore que dans la symbolique freudienne d’ailleurs : pour mener à bien notre initiation, nous devons nous aimer les uns les autres, et nous aimer nous-même.

"On peut allumer des dizaines de bougies à partir d'une seule sans en abréger la vie. On ne diminue pas le bonheur en le partageant."

 

D'autres développements seraient possibles, d'autres méditations, d'autres rêveries autour de la bougie. On pourrait, par exemple, remarquer que quand la mèche grandit, la cire ayant brûlé, la flamme grandit aussi et finit par se déstabiliser, vaciller et fumer, il faut alors moucher la bougie. Comment ne pas penser à l'être humain gonflé d'orgueil, déstabilisé puis "mouché", remis à sa place par les vicissitudes de la vie ?

On pourrait remarquer aussi, que quand la mèche se courbe ou se tord, la flamme vacille et se déséquilibre, comme nous lorsque nous quittons la droite ligne de conduite maçonnique…

Et on pourrait remarquer enfin, que quand il y a trop de cire fondue, la flamme diminue car la mèche est étouffée par le liquide ; nous aussi, ne sommes-nous pas étouffés par trop de sentiments ou d'états d'âme, qui parfois nous assaillent de doutes et nous empêchent d'accéder à la spiritualité, à l'amour, alors qu'en bon Maçons nous devrions laisser nos Métaux à la porte du Temple ?

Avant de conclure et de laisser chacun à sa propre méditation, un dernier symbole concernant la bougie.

Elle est le symbole de la vie ascendante, la bougie est l'âme des anniversaires. Autant de bougies, autant d'années, autant d'étapes vers la perfection et le bonheur. S'il faut les éteindre d'un souffle, ce qu'aime faire les enfants, c'est que ce souffle-là n'anéantit pas la lumière. C'est moins pour rejeter ces petites flammes dans la nuit de l'oubli, pour les anéantir dans le passé avec leurs cicatrices de brûlures que pour manifester la persistance d'un souffle supérieur, montant comme la vie dans les enfants, chaque année et chaque tenue pour que nous intériorisons de plus en plus la flamme de cette bougie, afin qu'elle illumine et fasse grandir l'enfant qui est en nous. Car à la fin de notre vie, cette bougie qui brûlera près du défunt, symbolisera la lumière de l'âme et de toutes ces petites flammes de bougies dans leur force ascensionnelle, la pureté de la flamme spirituelle qui monte vers le ciel, la pérennité de la vie personnelle arrivée à son zénith.

 

J:.P:. G:.

 

Apport de J:. D:. G:.:

"« La flamme de la chandelle sur la table du solitaire, prépare toutes les rêveries de la verticalité. La flamme est une verticale vaillante et fragile. Un souffle dérange la flamme, mais la flamme se redresse. Une force ascensionnelle rétablit son prestige. » [Gaston BACHELARD, La flamme d'une chandelle, p.57-58, Paris, 1961]."

 

 



02/10/2022
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