La Main (deuxième vision)
La main.
La main, un des symboles absents de la symbolique visiblement affichée de la loge et pourtant un des symboles les plus présents. Certainement le plus présent.
Un petit préambule avant d'aborder ce sujet.
La planche que j'ai présentée pour mon élévation au degré de compagnon concernait l'allumage des trois piliers.
Celle–ci, pour mon exaltation au degré de maître concerne la main.
Ces deux symboles renferment eux-mêmes une seconde symbolique, celle des chiffres.
3 pour les piliers et 5 pour les cinq doigts de la main. Symboles des deux premiers degrés.
Oui, moi qui me disais être plus symbolophobe que symbolomaniaque, me voici troublé, rattrapé par la réalité.
Ces deux chiffres ont toujours été importants pour moi, en musique avec mes œuvres préférées le triple concerto de Beethoven et le quintette pour clarinette de Mozart et dans mon quotidien aussi ces chiffres m'accompagnent.
Ce que certains appellent le hasard et que d'autres appelleront un signe, devons-nous le voir comme un symbole ?
Comme le chantait Jacques Brel :
« Certains jours paraît une flamme à nos yeux.
A l'église où j'allais on l'appelait le Bon Dieu, l'amoureux l'appelle l'amour, le mendiant la charité, le soleil l'appelle le jour, et le brave homme la bonté »…
Chacun son interprétation, à chacun sa vision, à chacun sa vérité, dans une unité d'esprit. C'est bien là le vrai sens du symbole.
Oui, vous avez contribué, mon Premier Surveillant, notre Vénérable Maître et vous tous mes Frères, à la naissance d'un intérêt envers un sujet auquel je n'aurais jamais pensé donner tant de réflexion.
Une seconde remarque dans ce préambule.
J'ai présenté ma première planche devant vous, sur le « testament philosophique », presque le jour même où 220 ans plus tôt Mozart entrait en maçonnerie.
Je présente cette planche ce soir, l'année même où l'on commémore le 250ème anniversaire de la naissance de Mozart. Hasard, signe ou symbole ?
Mais le sujet de ma planche ce n'est pas Mozart.
Et pourtant ! Il m'offre une fois de plus une merveilleuse transition.
Comment ne pas faire la relation entre l'esprit, le génie et l'application dactyle d'un artiste ?
Que seraient les inspirations d'un artiste, les compositions intellectuelles et spirituelles de Mozart si elles n'avaient été à un moment, transcrites par l'apposition
de sa main sur le papier à musique, sur les portées ?
Que seraient ses compositions si elles n'étaient un moment traduites par les mains des musiciens sur les instruments ?
La transmission de la musique c'est la main. La main du compositeur sur la partition, la main de l'artiste sur son instrument et pour terminer, les mains de l'auditoire qui, en se frappant, expriment leurs sentiments et leurs émotions.
Ce qu'ils ont perçu c'est l'aboutissement d'un travail manuel : Le « touché » de l'instrument qui traduit la sensibilité du musicien traduisant ou exprimant la sensibilité du compositeur.
Il semblerait que l'on ait tout dit en évoquant cette chaîne des mains depuis l'inspiration jusqu'à la transmission, traduction de la pensée, de l'intelligence et de l'émotion.
Comment séparer la main de l'esprit ?
C'est l'esprit qui conduit la main. C'est la main qui traduit l'esprit.
Parce que la main est le complément de l'esprit, l'instrument qui projette la pensée par les actes.
Alors si l'Esprit ne se formalise que par les actes, peut-on dire que l'homme est avant tout un MANUEL ?
Personnellement je désire écrire ce dernier mot en majuscules, car souvent l'homme, trop imbu de son intellect, n'aime pas qu'on utilise ce terme,
Je ne suis pas de ceux qui entretiennent l'antinomie entre le manuel et l'intellectuel.
Moi, soi-disant « pseudo intello non manuel » (et peut-être le seul à le croire), je suis amené à utiliser mes mains avec les divers outils qui m'aident à exprimer ma pensée.
C'est par sa main qu'il a réalisé son Oeuvre conçue en sa pensée, celui que l'on nomme le Grand Architecte de l'Univers.
Ainsi, quand je pense au travail manuel, j'entends le « Gloire au travail » comme « A la Gloire du travail »
Je n'ai pas, dans cette planche, l'intention de reprendre les définitions du dictionnaire du mot « main ». Elles sont trop nombreuses et nous écarteraient du sujet.
Le sujet, c'est la main, la symbolique de la main, elle-même symbole de la communication depuis 30.000 ans.
La première écriture connue, le « cunéiforme sumérien », est apparue durant le quatrième millénaire avant J.-C. dans le Sud de l'actuel Irak, précédant de quelques siècles seulement l'écriture hiéroglyphique des anciens égyptiens.
Sans que l'on puisse réellement parler d'écriture au sens propre du terme, les peintures de mains qui apparaissent dans les grottes préhistoriques depuis 30 000 ans semblent vouloir transmettre un message.
Malgré bon nombre d'hypothèses ce dont on est certain, c'est qu'il s'agit bien d'une représentation « symbolique » destinée à exprimer quelque chose.
Il pourrait donc s'agir d'une première forme embryonnaire d'écriture, et c'est la main qui en est le symbole premier.
Depuis cette lointaine époque, sur tous les continents et dans toutes les civilisations, la main n'a jamais cessé de jouer un rôle important dans la transmission des idées, rôle symbolique et sacré ou tout simplement rôle d'outil servant à tracer.
"Extraordinaire outil de l'écriture comme de la parole, la main est sans aucun doute l'organe qui a participé le plus à faire de l'homme un drôle de petit mammifère doté de dignité. "
écrit Yves Coppens.
En Europe, de nombreuses images de mains ornent les parois des grottes préhistoriques. Images parfois positives mais le plus souvent négatives.
Il existe deux types de mains négatives : les mains entières et les mains " mutilées ".
Dans la grotte de Maltravieso en Espagne, toutes les mains sont " mutilées " au niveau du cinquième doigt (l'auriculaire). Il n'est pas impossible que l'on soit en présence d'une amputation rituelle, d'une transmission symbolique.
En laissant l'image de leurs mains, de façon délibérée comme symbole d'un message, ils réalisaient ainsi la première forme d'écriture, sinon de communication scripturale.
Au Sahara central aussi, les mains sont présentes dans les célèbres peintures rupestres, bien que beaucoup plus récentes (10 000-4000 Av. J.-C.). L'aspect symbolique de ces peintures se retrouvera plus tard dans l'écriture hiéroglyphique égyptienne. On retrouvera la main, déclinée sous plusieurs formes. Main isolée représentée les doigts joints, main au bout d'un bras plié, mais aussi les deux positions d'orants observées dans les peintures pariétales.
Ces hiéroglyphes utilisant l'image de la main évolueront mais resteront en usage tout au long de la civilisation égyptienne, c'est à dire jusqu'au troisième siècle
après J.-C.
La main est un des membres les plus sollicités du corps par sa fonction et l'un des plus remarquable par sa complexité.
Ce n'est que chez Homo sapiens que le pouce, plus long, devient opposable à tous les autres doigts, rendant possible une saisie encore plus fine et précise.
Ainsi, initialement destinée à la locomotion, la main change radicalement de fonction avec l'apparition de la bipédie, en devenant un organe presque exclusivement réservé à la manipulation.
C'est cette maîtrise technique que la main permet, qui met progressivement l'Homme dans une situation de domination absolue sur le monde vivant.
Le cerveau pense et la main exécute l'idée, qui par sa sensibilité au niveau de ses tissus, active le toucher, dictant à notre cerveau ce qui est agréable ou non, le froid ou le chaud, le liquide ou le solide, le lisse ou le rugueux.
On peut alors dire qu'elle MANI-feste la pensée à travers les différents sens de l'homme, jouant le rôle du toucher, du parler, du son ou de la vue.
L'exécution est le parachèvement de la pensée. L'idée se forme dans le cerveau en donnant naissance à une représentation de l'acte. La main obéit au mécanisme du concept psychique.
Simplement parce que cette Main établit le contact.
Chacun de nous a pu s'émerveiller du langage gestuel des sourds et muets, qui par ce moyen peuvent communiquer entre eux, échanger leurs sentiments, et concevoir une vie normale. Par cet échange on peut dire que la main parle et que les yeux écoutent.
De même, quelle perception des choses les aveugles auraient-ils sans leurs mains ?
L'apprentissage de la connaissance à l'école passe d'abord par le toucher, par la composition manuelle, par la création manuelle.
On met d'abord des cubes les uns sur les autres pour construire, avant même de savoir si ce que l'on construit correspond à une structure intellectuelle.
La main donne, reçoit, s'ouvre ou se ferme, selon ce que l'esprit veut exprimer. Elle est un symbole de lecture de nos intentions bonnes ou mauvaises.
Cette main a tant de rôle, comme celui de mesurer, de donner, de recevoir, de tenir, de réaliser, et bien sûr d'Aimer. Elle est le gage de l'amitié, de la gratitude,
de l'engagement.
L'évolution de la biométrie prend entre autres les caractéristiques génétiques de l'ensemble de la main après l'époque ou seules les empreintes digitales servaient de repères identitaires.
En regardant les fresques qui ornent les plafonds du Vatican et de la Chapelle Sixtine, on remarque combien la main est présente. Main tendue, main tenant un glaive, main bénissant, main caressante, main apaisante et bien évidemment la main tendue et le doigt de la création dans la célèbre fresque de Michel-ange.
Dans bon nombre de religions, on retrouve la main comme symbole de la puissance, de la protection, de justice céleste, de l'offrande ou de la bénédiction.
Je l'ai dit en introduction à cette planche :
La main, un des symboles absents de la symbolique visiblement affichée de la loge et pourtant un des symboles les plus présents.
La main, signe de reconnaissance par l'attouchement
La main sur l'épaule pour l'accolade
La main qui demande la parole
La main à l'ordre qui symbolise notre appartenance
La main qui concrétise l'engagement par le signe pénal répété plusieurs fois dans notre rituel
La main dégantée pour prêter serment
Les mains qui s'entrechoquent pour les batteries
La main qui se tend pour l'acclamation
La main en signe de fraternité pour la chaîne d'union
De notre mémoire et de notre héritage de la maçonnerie opérative, nous retenons les outils.
Les outils sont le prolongement de la pensée créative.
Une de nos richesses, c'est précisément de commencer par l'art de la main. Par l'acquisition des outils.
Les historiens et les philosophes ont fait remarquer que les premières apparitions de l'homme (homo sapiens) coïncident avec la présence d'outils et que l'acte spécifiquement humain est d'abord celui qui témoigne d'une faculté de fabrication.
Dans le temple maçonnique, ce sont les outils qui signifient la présence de l'homme dans ses dimensions intellectuelles et spirituelles.
Ces outils qui m'ont été présentés, qui figurent sur les deux tableaux de loge et qui resteraient sans âme si ma main ne pouvait être leur guide ou leur prolongement de ma pensée.
On ne peut pas parler de la main, sans évoquer le Quine et donc sans faire référence au nombre d'Or. Le quine des maîtres d'œuvre se référait aux mesures humaines.
Suite de 5 mesures étalonnées sur les dimensions du corps humain dont 3 concernent la main: La paume, la palme, l'empan
Une se rapporte à l'avant-bras : la coudée
Et une au pied : (le pied)
Les partages du QUINE forment une suite additive, chaque dimension est la somme des deux précédentes, comme dans la suite de Fibonacci.
Cette suite est aussi géométrique puisque le rapport entre deux mesures consécutives est le nombre d'or, directement lié au pentagone régulier.
Dans les arts divinatoires et la chiromancie, l'étoile à 5 branches est située exactement au centre de la main droite et sur la ligne de la destinée, soit vers le mont de saturne, elle y figure un pentagone.
Elle y dessine les cinq branches de l'étoile flamboyante. Cinq branches qui représentent les fondamentaux de la construction personnelle :
Géométrie : l'harmonie des proportions
Génération : le pouvoir de créer
Gravitation : l'attirance de tous les éléments convergeant vers l'humanité et l'amour
Génie : l'intelligence qui permet de transmettre
Gnose : la connaissance de la vérité
La main est donc bien une symbolique fondamentale mise en exergue au grade de compagnon
C'est la symbolique du lien entre le matériel et le spirituel, entre l'esprit et la matière, entre la réflexion et la réalisation.
L'évolution de cette relation est perceptible au cours des 5 voyages initiatiques au grade de compagnon.
D'ailleurs, à l'issue du cinquième voyage, le VM nous rappelle que la main fut le premier outil de travail.
Plus on avance dans les 5 voyages, plus on construit ce lien entre le matériel et le spirituel
Il s'agit plus de voyages d'instruction que de voyages initiatiques.
Ce sont tous les moyens d'action et de pensée pour communiquer vers l'extérieur son travail personnel.
Les 5 sens avec le toucher permettent l'approfondissement de la connaissance des éléments
Les 5 ordres d'architecture nous aident à parfaire l'œuvre et lui donner la beauté structurelle
Les arts libéraux nous permettent d'étendre à l'univers nos propres connaissances
Les Grands initiés représentent la loi de la morale et de l'humanité.
La lettre G, Gloire au travail. Comme un aboutissement, comme une signature, nous signifie que doté des éléments de travail, de réflexion, de connaissance et de communication, le travail réalisé sur soi-même peut commencer à l'extérieur, en direction des autres.
"L'action du Compagnon est d'ajouter à l'action de l'apprenti, l'exploration de l'architecturation du monde et de toutes les lois inexorables qui le bâtissent logiquement et rationnellement."
(Écrivait récemment Alain Pozarnik).
Après un bref parcours de travail et de réflexion au sein de notre loge, je balbutie encore aux portes de la connaissance. Je guette la lumière. Je la guette et je la quête.
Je suis encore avec vous comme dans la fresque de la création de Michel-Ange. Mains tendues.
Certain que ces mains vont se toucher, tellement elles sont proches, tellement elles le désirent.
Ce ne sont que deux doigts qui vont se rencontrer. Une partie du travail à accomplir ?
Une partie seulement sur ce long parcours de la connaissance et de la sagesse.
Si la recherche initiatique est personnelle, elle ne se replie pas sur elle-même, elle a vocation à se propager par la diffusion de la lumière.
Etablir une solidarité humaine sur l'attitude humble d'une philosophie de la quête.
Pour pouvoir répandre la lumière, faut-il encore que nous commencions par la posséder.
Et pour cela, il ne peut suffire de l'avoir symboliquement reçue.
Il faut encore l'avoir découverte et comprise, se l'être intégrée comme le sang à la chair et savoir désormais déceler la lumière dans les ténèbres et les ténèbres dans la lumière.
C'est le travail auquel je m'emploie, c'est le sens de mon engagement.
En conclusion, je dirai que la main est symbole et réunion de symboles.
A la fin de nos tenues, la force symbolique que l'on donne à nos travaux, la continuité et la transmission à laquelle on s'engage sont concrétisées par la chaîne d'union.
Dans cette chaîne d'union, ce sont nos mains qui symbolisent par un geste concret notre esprit d'union et de fraternité.
Le fait d'enlever le gant protecteur à l'instant de la chaîne d'union mais aussi au moment du serment, rappelle que pour réaliser le dessein d'authenticité, le franc-maçon doit être nu face à lui-même et nu dans la communion des chœurs.
« La main n'est qu'un membre, une main n'est pas l'homme,
mais la main mène à l'homme si l'étreinte est fervente »
En référence au volume de la loi sacrée ouverte à l'évangile de Saint Jean, parlant de Jésus :
…Il nous appela et nous fit faire un cercle en nous tenant la main les uns les autres en disan:t
« Nous te rendons grâce O lumière en qui n'habitent pas les ténèbres…
Qui ne participe pas à la ronde, ne connaît ce qui va venir…
Regarde toi en moi et voyant ce que je fais,
garde le silence sur mes mystères »
Daniel CHA
26 avril 6006