Le Miroir (06.05.2025)
Il est des objets profanes dont on serait vivre sans. Ainsi en est-il du miroir. Il fait partie de notre quotidien mais contribue également à notre construction ; la psychanalyse a conceptualisé le stade du miroir, étape à laquelle le tout jeune enfant comprend en regardant le miroir qu’il s’agit de sa propre image.
Le miroir est présent dans de nombreuses légendes. Persée, héros de la mythologie grecque qui terrassa la méduse grâce à un bouclier transformé en miroir. Narcisse tombant vers la noyade car fasciné par son propre reflet dans l’eau— n’appellent-on pas certains miroirs : miroirs de vanité ? Le miroir est aussi un moyen très efficace pour dépister les vampires puisque ces créatures, mortes-vivantes ne s’y reflètent pas.
Présents dans des contes, par exemple Alice de l’autre côté du miroir de Lewis Caroll ou Blanche Neige popularisé par Jacob et Wilhelm Grimm.
Le miroir est aussi convoqué dans maintes croyances populaires et superstitieuses ; par exemple il est recouvert d’un tissu pour empêcher qu’il retienne l’âme d’un récent défunt ou la menace de sept ans de malheur pour celle ou celui qui le brise.
Il est frappant de noter combien les exemples ci-dessus ont lien avec la mort. D’ailleurs, le miroir était autrefois utilisé pour prouver le décès d’une personne ; placé sous son nez, l’absence de buée respiratoire attestait l’absence de vie.
Le miroir peut aussi inspirer l’amusante ou l’inquiétante étrangeté. Maints récits ou films ont mis en présence des personnages voyant leur reflets leur échapper, les doubler, leur être infidèles. Dans certains cas, l’effet procure le rire et dans d’autres, le double devient menaçant ou annonciateur d’une issue funeste.
Et la Maçonnerie dans tout ça ?
Le soir de son initiation, le postulant enfermé dans un petit espace sombre et inquiétant est confronté à des symboles figurés par plusieurs objets dont un miroir. Cela tombe bien dans une soirée placée sous le signe de la mort symbolique.
Pourquoi donc un tel objet dans ce cabinet ? L’épreuve première de la Terre doit conduire le futur Frère à une méditation sur la condition humaine ; sur le sens de sa propre existence. Or, la pièce dans laquelle il est momentanément confiné s’appelle le cabinet de réflexion. La langue française n’est pas si illogique qu’il n’y parait. La polysémie du mot réfléchir est ici bienvenue.
Réfléchir c’est faire appel à la raison, à la déduction pour éviter les réactions premières, épidermiques ou inconsidérées ; c’est se laisser le temps de penser, le temps de l’analyse. Réfléchir c’est aussi renvoyer, refléter une image. La réflexion proposée par le miroir n’est pas si éloignée car, si au quotidien, son reflet sert à un contrôle, une vérification de mon apparence, ici il m’oblige… à réfléchir. À spéculer verbe dérivé de spéculaire qui désigne… ce qui a la propriété d’un miroir.
Dans le cabinet, mon image n’est plus renvoyée à des fins matérielles ou narcissiques mais pour un constat, une reconsidération de ma condition. Il m’incite tout à la fois à faire face à moi-même — comme par hasard, certains miroirs sont aussi appelés psychés — mais aussi à une introspection, un regard intérieur déjà suggéré — même si le futur apprenti ne le sais pas encore — par le mot V.I.T.R.I.O.L.
Le futur Frère n’en a pas fini avec le miroir. À la fin de la cérémonie d’initiation, le V:.M:. après l’avoir jugé digne de recevoir la lumière déclare : « […] Vous avez peut-être des ennemis. Si vous en rencontriez dans cette Assemblée ou parmi les Francs-Maçons, seriez-vous disposé à leur tendre la main et à oublier le passé ? » le presque initié promet et le bandeau est retiré. Alors, le V:.M:. ajoute : « Ce n’est pas toujours devant soi que l’on rencontre des ennemis. Les plus à craindre se trouvent souvent derrière soi. Veuillez vous retourner. » Le bientôt apprenti découvre alors son reflet dans un miroir tendu par son parrain. Je gage qu’aucun Franc-Maçon n’a oublié cet instant ; un des plus marquants de l’initiation en ce qui me concerne. Je me souviens avoir souri d’abord conquis par cet effet de surprise et d’évidence puis d’avoir dans le même temps compris l’appel à la prudence ; une invitation au « connais toi toi-même » à comprendre que je peux être le pire ennemi de moi-même.
Ce miroir est complémentaire de celui présent dans le cabinet de réflexion. Le miroir du cabinet pouvait se passer de mon reflet. Le symbole était là pour imager une nécessaire introspection préparatoire à mon testament philosophique. Celui qui m’est tendu tient son rôle de miroir. Le symbole n’est plus l’objet en tant que tel mais ce qu’il est censé me dire.
Une fois cet avertissement intégré je peux aussi y voir l’expression, le symbole d’une reconnaissance. Là encore le mot a deux sens. Une reconnaissance non pas dans l’acception profane que j’évoquais tout à l’heure : « c’est bien moi, aucun doute » mais plutôt dans un sens symbolique. Le miroir ferait écho à la phrase bien connue de notre mémento : « Mes frères me reconnaissent pour tel. »
Oui mais encore. Le miroir ne pourrait-il pas aussi me dire, signifier autre chose ? Cherchons l’idée sous le symbole comme dirait un frère de notre atelier. D’abord, affirmer qu’un miroir est fidèle aux images qu’il reflète est faux. Il les renvoient inversées. La jolie et distinguée mèche de cheveu tombant si délicatement sur le côté droit de mon visage penchera à ma gauche dans la glace. Derrière l’avertissement du V\M\ se cacherait donc un autre symbole : non seulement je devrai me méfier de moi-même mais en plus ce moi-même ne refléterait pas réellement ce que je suis.
La très célèbre et très usée belle phrase de Jean Cocteau :
« Les miroirs feraient mieux de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images » a tout de même un sens.
Enfin, il faut parfois puiser à l’origine des choses pour en retrouver l’essence. N’est-il pas amusant de noter qu’à l’origine, un symbole était un objet séparé en deux. Il permettait à deux personnes possédant chacune une partie de l’objet de se reconnaitre en joignant les deux morceaux.
A:.K:.
28.05.6025