Le Serment: je préfèrerais avoir la gorge coupée...

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Dans le mémento du 1er degré, au chapitre « instruction » il est demandé à l’Apprenti de faire le signe pénal et d’en donner la signification. -

« que signifie ce signe ? » questionne le 1er Surv∴ et le Frère répond « que les secrets qui m’ont été confiés. »

Cette réponse fait bien sûr écho au serment qu’il a prêté lors de sa cérémonie d’initiation. Souvenons-nous, le V∴M∴ lui demande d’écouter attentivement la formule du serment. Le récipiendaire jure donc. De ne jamais révéler aucun secret de la F∴M∴ à qui n’en a pas qualité pour les connaître ; l’observance consciencieuse des principes de l’Ordre; de suivre régulièrement les travaux ; d’aimer ses frères. Et il conclut:

« Je jure solennellement tout cela sans évasion, équivoque ou réserve mentale d’aucune sorte, sous peine, si je devais y manquer, d’avoir la langue arrachée et la gorge coupée. »

Rien que ça… Phrase terrible, glaçante qui scelle son serment.

Pour l’instant, le futur initié ignore que tout est symbole — quoiqu’il puisse quand même le deviner, le V∴M∴ lui a donné quelques indices entre les épreuves. Tout est symbole, certes mais pendant une seconde qui n’a pas pris cette sentence — pardonnez-moi ce jeu de mot — au 1er degré ? Qui ne s’est pas demandé si à l’origine, jadis dans une société où la peine de mort, la torture, la barbarie étaient assez partagées par des juges peu enclins à la tolérance et à la galéjade ; si cette punition n’avait pas existé. Après tout, la maçonnerie ne date pas d’hier. Et il y a fort à parier qu’une des origines du fantasme anti maçonnique, de l’accusation calomnieuse des pires infamies auxquelles nous nous livrons et dont heureusement nous savons rire, pourrait venir de là. C’est bien connu toute cérémonie d’initiation quelle qu’elle soit, au mieux intrigue, au pire fait peur. Ce qui est sûr c’est qu’on en sort différent, transformé.

En outre, le V∴M∴ insiste en demandant par deux fois au néophyte — au cas où celui-ci soit devenu relapse entre temps — s’il persiste, si son serment et ses engagements ne lui donnent aucune inquiétude. Nous remarquerons que dans le memento, c’est juste la gorge qui est menacée de tranchage. Il n’est pas question de langue arrachée ; de toute façon, l’Apprenti n’a pas vraiment eu l’occasion de s’en servir. Il y a une autre différence. En prononçant lors de l’initiation la phrase « sous peine, si je devais y manquer, d’avoir la langue arrachée et la gorge coupée », le récipiendaire subit, il est sous une menace. Ce qui le punirait en cas de trahison, c’est une justice immanente, celle du Grand Architecte ou celles des Frères. Bref, cette peine lui serait infligée par d’autres. Quelques années plus tard, alors qu’il a progressé, que les Maitres pensent qu’il est apte à gravir une marche, l’Apprenti qui a travaillé une partie des symboles à son degré est également capable d’être. Capable de dire « je ». « […] je préfèrerais avoir la gorge coupée que de révéler les secrets qui m’ont été confiés. » La conjugaison en dit long. L’Apprenti quitté sa forme passive d’homme imparfait pour commencer à suivre un chemin actif, une voix d’affirmation. Les mots ont leur importance, les secrets sont confiés au Frère. Pas donnés. Ce n’est donc pas tant un contenu, une liste de mots, de gestes ou d’attouchements dont il est question. Mais de confiance. Le terme « signe pénal » est très peu souvent prononcé par le V∴M∴ ou les Off∴ pendant les tenues régulières au 1er degré. Le mot « signe » sans qualificatif suffit ; « A moi mes Frères ! Par le signe… » ; la signification pénale de ce dernier est intégrée. Intégré, car la mise à l’ordre est tout à la fois le rappel de la mesure — avant de parler, il vaut mieux tourner sept fois dans sa bouche sa langue, surtout si elle n’est pas encore arrachée — mais aussi la façon de se souvenir de notre serment ; la main devient alors le symbole de la lame guetteuse. Une auto punition en suspens.

 

A propos de serment, à l’heure où je travaillais ce modeste morceau d’architecture, notre F Benoît nous saisissait d’un passage du Recueil des obligations déontologiques des magistrats, publié par le Conseil Supérieur de la Magistrature. En voici la substance : « Le devoir de solidarité entre les membres de certaines organisations ou l’existence d’un système de justice propre à celles-ci peuvent générer un devoir de loyauté incompatible avec l’impartialité à laquelle les magistrats sont tenus. […] La pratique du serment […] qu’implique l’appartenance à certaines organisations philosophiques ou religieuses risque d’être incompatible avec les devoirs d’indépendance et d’impartialité du magistrat. » Le serment maçonnique est en effet double. Le symbolique prononcé à l’intérieur du Temple et celui qui en découle pour le monde profane. Ce dernier m’apparaît moins comme la parole donnée à ne rien dévoiler qu’à une parole tacite de ne pas se dévoiler. Car que faut-il donc taire qui ne soit déjà révélé, commun ? Les livres, les sites se sont chargés de trahir le serment à notre place. Tous les secrets sont accessibles excepté le nôtre évidemment. Et celui de l’appartenance. Le Franc-Maçon sait bien qu’un outil, un symbole doit être manié avec circonspection. Le bandeau sur les yeux de la Justice symbolise son impartialité ; il ne lui cache pas la vue, il la préserve, grâce à lui, elle peut voir clairement, équitablement. Son aveuglement est garant de son impartialité. A l’inverse, celui qui cache les yeux du récipiendaire le maintient dans les ténèbres ; il faut lui ôter pour qu’il reçoive la lumière. Ce qui peut donc inquiéter dans cet abstract du Conseil Supérieur de la Magistrature, quelle que soit notre obédience, c’est l’abolition annoncée entre la légalité et la légitimité. Entre le Droit et le droit d’être. La menace d’un monde, sans symbole et sans symbolique, qui confond tout. Un monde où est jeté dans le même sac, la Franc-Maçonnerie, des associations tolérantes et universalistes et des organisations criminelles, factieuses ou sectaires. La Franc-Maçonnerie encore très suspecte de collusions et d’entre-soi n’est donc pas prête d’être épargnée ou valorisée. Cette « incompatibilité avec les devoirs d’indépendance et d’impartialité du magistrat » nous renvoi encore et toujours à une marginalisation. Car face à ceux qui tranchent et coupent réellement des têtes, des gorges et plus largement des pensées, notre serment, tout sanglant et douloureux qu’il puisse apparaitre est bien inoffensif.

 

Alain KEI.°.



22/06/2021
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