DANTE

 DANTE           

Un aperçu – exo - et – éso - térique basé sur sa vie, son œuvre

et par conséquent surtout sur sa Divine Comédie

ou

 

lire Dante

« Quiconque possède un sain entendement peut voir la doctrine qui se cache sous le voile de vers étranges »

Ce passage est tiré de L'Enfer de la Divine Comédie. Ce vers est caché au milieu de 14000 autres et il est une des clefs du travail de Dante, en tout cas une de celle qui va guider mon travail. En fait ses écrits, et il le dit dans un autre ouvrage Il Convivio, (le Banquet) sont basés sous le signe du Polysensum (c.à.d. qui possède plusieurs sens).Dante précise même qu'il faut y entendre précisément quatre sens. (si personno intendere e debbonsi sponere massimamente per quatro sensi – Il Convito t. II, ch. 1er)

Mais, il ne dit pas à quoi ces quatre sens se rapportent. Au lecteur de les deviner. Les trois les plus évidents résident dans :

1- le sens littéral

2- le sens politique et social

3 -le sens philosophique ou plutôt philosophico-théologique

Reste bien évidemment à définir le quatrième. Pour nous maçon et quiconque a reçu l'initiation, sous le signe de la quête de la lumière, à la lecture de ses textes, il nous paraît évident qu'il ne peut s'agir que du sens initiatique, métaphysique et donc ésotérique.

 

Je pourrais vous parler de Dante rien qu'au travers de sa Divine Comédie, mais comme nous allons essayer de nous enfoncer dans ces quatre sens, vous devez être averti sur la vie de l'auteur. Car essayer d'aborder l'œuvre de Dante uniquement sous l'angle initiatique, cela reviendrait à séparer l'ésotérisme de l'exotérisme, cela reviendrait à supposer que le pavé mosaïque n'est composé que d'une couleur unique, que le fil à plomb n'est pas suspendu au-dessus, qu'il nous faut uniquement élever des temples à la vertu sans avoir conscience que cette action est indissociable de fait de creuser des cachots pour le vice, qu'il n'y a que le Yin, sans le Yang. Or l'un ne peut être sans l'autre, pensez à ce mouvement de balancier : plus nous allons loin dans un sens évident et plus l'énergie emmagasinée nous emmène loin dans l'autre sens, le caché. Réunissons la dualité, pour chercher dans le ternaire.

 

Nous sommes à la fin du XIIIème siècle, au début du XIVème, en Italie, à Florence. C'est une cité prospère, sans doute l'une des plus prospère du continent, donc du monde connu. Marco Polo (1254 – 1324) un contemporain de Dante, rêve déjà d'orient. Florence a de nombreux pôles d'intérêt : le commerce, l'économie (le florin), la politique, les foyers ecclésiastiques et l'Art et la culture.

Florence, comme toutes les cités italiennes est comme une petite république, gouvernée par le peuple, mais ces cités sont obligées d'être sous un protectorat qu'elles doivent choisir. Soit sous le protectorat de l'Empereur, soit sous celui du pape.

L'Empereur, c'est le chef du Saint Empire Romain, Empereur Germain. Car depuis le Xéme siècle, le roi de Germanie, une fois élu par les ducs et les évêques, et couronné par le Pape en Italie devenait automatiquement Empereur de la chrétienté.

Qui désire la protection de l'Empereur est appelé Gibelin, qui désire celle du pape est appelé Guelfe.

(Au début du XIIème siècle, compétition pour le titre de roi de Germanie entre 2 princes allemands : Welf et Waiblingen, partisans en Italie, prennent le nom de leur chef, 2 camps, W>G, le pape choisit Welf => les guelfes sont pour le pape) 

Chaque cité, en tant que république, se trouve donc livrée à elle même, défendant ses seuls intérêts qui sont concentrés ou

  • sur les traditions,
  • sur son saint ou sa sainte,
  • ses ancêtres ou ses grandes familles
  • sur le commerce.

En tout cas tout cela est bien loin d'une idée de communion nationale. Ce qui fait que les conflits entre cités sont nombreux.

Le patriotisme le plus ardent règne dans ses petites républiques qui se reconnaissent à leur campanile, dominant au loin les campagnes.

Pour défendre ses intérêts chaque cité entretient des troupes de mercenaires au côté desquelles, en cas de conflit, se battent les nobles de la cité. (Dante qui fait partie de la petite noblesse, participera d'ailleurs à deux campagnes notamment contre Pise)

L'âme de la patrie se retrouve ainsi à suivre la milice municipale à chaque conflit.

Sang, boucherie, bûcher, tel est l'épisode récurent que chaque cité doit vivre. Belle anarchie en est le résultat. Au gré des victoires, il y a un nouveau corps dirigeant et de fait chaque ville est tour à tour Guelfe ou Gibeline. Faisant éclater les anciennes alliances à chaque nouveau régime contractées, donc faisant éclore de nouveaux conflits, donc de nouvelles rancunes.

Il n'empêche que comme de nos jours avec les partis politiques, se côtoient donc dans les villes des Gibelins et des Guelfes, les pro-Empereur et les pro-Pape.

S'il n'y avait que deux factions, ce serait simple or les Guelfes sont eux aussi séparés en deux: les blancs et les noirs.

Les blancs étant définit comme blancs en souvenir de Bianca Cancellieri (à Pistoia), fille de l'importante famille des Cancellieri qui eut un énorme différent avec une autre famille. Ceux qui se rallièrent à la cause de cette famille se firent appelés du nom de leur cause : Bianca, donc blancs, les autres en oppositions totale prient le nom arbitraire de noirs. Le temps passa les noirs et les blancs firent une alliance avec les guelfes de cela survint deux partis.

Gibelins pour l'Empereur, Guelfes noirs pour le pape, et les Guelfes blancs ni pour l'un, ni pour l'autre. Ce dernier parti est surtout composé d'intellectuels et d'esprits plus spontanément chimériques. Je vous rappelle que ces trois factions sont présentes dans toute l'Italie. Elles aiment toutes la liberté, et font  pourtant tout ce qu'elles peuvent pour la détruire. Dante fait partie des Blancs par la tradition familiale.

Du pape qu'il côtoiera personnellement, et de l'Empereur il pense que ce sont deux soleils qui doivent éclairer le chemin de l'humanité (Purg XVI)  car pour lui l'homme est le seul être qui participe d'une double nature, matérielle et spirituelle, au mouvement du monde. Chaque nature étant ordonné à une fin, l'homme doit poursuivre deux fins :

 

      Le bonheur de la vie présente et le bonheur de la vie éternelle.

La raison et l'Empire d'un côté, la foi et l'Eglise de l'autre.

 

Ce ne sont là que des instruments complémentaires dont la providence se sert pour le salut des hommes. Ce salut qui reste pour Dante LA grande finalité de l'existence. C'est pour cela qu'il devrait y avoir une restauration naturelle de l'autorité impériale en souvenir de la grande Rome directement conférée par Dieu sans intervention du Pape, (Dante sait que la création de l'Empire romain a été décidée dans l'Empyrée (Enfer II, 20) pour donner la paix à l'Univers), mais avec une présence indiscutable de l'église qui ne peut-être que toute spirituelle, car c'est dans la spiritualité recouvrée que l'église trouvera sa renaissance. En effet selon Dante l'église souffrait trop de ses abondances de bien. Mais pour le pape Boniface VIII, il en était tout autre : Il était en droite ligne avec un de ces prédécesseurs Innocent III qui avait énoncé la fameuse théorie des deux glaives : le temporel et le spirituel : à savoir que si l'état laïque a une existence légitime, c'est à la seule condition que celui-ci soit soumis à l'église. Boniface VIII affirme même que « pour toute créature humaine, il est de nécessité de salut d'être soumise au souverain pontife », les Rois y compris, sous peine d'excommunication. Alors que le pape ne peut être jugé, il peut juger tout le monde. Pour Dante Boniface VIII est responsable de la dérive simoniaque de l'église qui au contraire devrait être pauvre sur le modèle du Christ (se sent très proche de Cluny et de Bernard de Clairvaux).

Cela n'empêche pas bien sûr de considérer Dante comme un croyant, un Chrétien, même si on le sait très curieux de toutes les religions et des mouvements qui s'y rattachent. On le sait côtoyer verbalement ou par le biais des livres : la religion musulmane, la religion hébraïque, les cathares qui suite à leurs nombreuses persécutions françaises, beaucoup d'entre eux sont venus se réfugier dans la proche Italie, la Kabbale, le soufisme et tout ce qui a trait au mouvement spirituel.

 

Dante est donc né dans cette Florence en 1260 (65), et sa volonté, très tôt est d'entrer en politique.  Adolescent il rencontre Brunetto Latini ou Latino qui sera son initiateur à la vie politique. C'est d'ailleurs aux côtés de cet homme que le jeune Dante va parfaire son savoir. Un savoir qu'il avait déjà assez étendu puisque même si de ses études, on ne sait pas grand chose, (sinon qu'elles ont été fort complètes pour l'époque) elles lui permettent, auprès des maîtres qualifiés, la véritable étude du latin et de la comptabilité. Il a alors abordé nombres auteurs tels que Virgile, Stace, Ovide, Horace, Lucain, Boèce, Cicéron, Esope, Caton. Avant d'aborder la philosophie et la théologie. Grâce à Brunetto Latini il a accès l'encyclopédie que ce maître a rédigé en Français (au détriment du Latin, la langue « savante » de l'époque). Cette encyclopédie réunit toutes les connaissances qu'un bachelier de l'époque doit savoir. Dante dira que grâce à lui, il a tout connu : l'astronomie, les lois physiques, les mathématiques, la musique, la rhétorique, la grammaire, la logique, la géographie. Mais une de ces plus grandes écoles est celle de la rue, il aime rencontrer tous les pôles d'intérêts dont je vous ai parlé tout à l'heure et en tire une richesse intérieure incomparable.

Dès 1295, il entre en politique : conseil des 100, jusqu'au plus haut poste un des six prieurs de la cité en 1300. Ces prieurs sont élus pour deux mois et vivent en autarcie la plus complète, vivant ensemble, pour ne former qu'un afin d'être l'âme de la cité. Ils ont à statuer sur toutes les décisions. Jusqu'en 1302 il réintègrera, par la suite, de conseil des 100 en tant que sage de la cité. Lorsqu'il a été prieur, suite à des troubles dans Florence, en laissant de côté toute amitié, et pour le bien de sa cité, il a dû expulser de la ville des représentants de chaque parti. En 1302 les guelfes noirs, revenus au pouvoir envoie Dante auprès du pape pour une mission d'ambassadeur, ils en profite pour mettre a exécution la vengeance qu'ils ont fomenté. Il le condamne par contumace et par deux fois à quelques mois d'intervalle, sous le motif de malversation financière et enrichissement personnel/ Le verdict est simple : exil définitif, la saisie de tous ses biens, avec l'assurance qu'il sera brûlé vif s'il revient à Florence. Qui plus est, pour avoir tenté d'organiser son retour à Florence, toutes les personnes masculines de sa descendance ont elles aussi été condamné à l'exil. (Il s'était marié à 20 ans et il a quatre enfants dont une fille)

Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour revenir, coalition politique, appuis personnels au sein du gouvernement, lettre ouverte au peuple... rien n'y fait. La décision est irrévocable.

Il vit donc loin de sa patrie et finit par entretenir une haine féroce contre les représentants de sa cité à qui il a donné tout son amour.

Il errera de cités en Cours au gré des opportunités qui s'offriront à lui, il aura principalement pour fonction celle de diplomate et d'ambassadeur à la solde des personnes qui l'accueillent : lui offrant ainsi de nombreux voyages.

Il séjourne dans diverses villes d'Italie où il est partout bien accueilli, notamment à Vérone, à Lucques, il effectue vraisemblablement un voyage en France où on retrouve sa trace à Paris entre 1307 et 1309. (Date à laquelle il est communément reconnu qu'il commencerait la rédaction de la comédie).

Il ne cessera d'approfondir sa culture au fil des différentes expériences qu'il connaîtra, Son exil lui coûte beaucoup. Il prend conscience de sa propre solitude et se détache de la réalité contemporaine qu'il estime dominée par le vice, l'injustice, la corruption et l'inégalité.

Il a bien un moment où il voit renaître l'espoir avec l'arrivée d'Henri VII de Luxembourg qui se propose d'élaborer une union italienne qui de fait mettrait fin à tous les conflits des différentes cités. Il soutiendra même son avènement en envoyant des lettres à de nombreux princes et hommes politiques italiens. En 1310, Henri VII de Luxembourg accède au trône impérial, avec pour objectif déclaré de placer l'Italie sous son autorité, mais il mourra en 1313, alors qu'il a lamentablement échoué dans sa réalisation. Cet évènement anéantira définitivement les espoirs du poète, et plus jamais il ne pensera revenir à Florence. En 1321, il meurt à Ravenne, où son corps est toujours à cause d'une injonction définitive qu'il avait faite de son vivant.     

 

Mais, vous le savez, ce n'est pas cela qu'a retenu de Dante la postérité. Dante est un poète, il ne faut pas l'oublier. La poésie a été toute sa vie. Très jeune, il commence à écrire, mais c'est en 1293 qu'il termine son premier recueil de poème : La Vita Nova, il n'écrira plus de façon définitive avant son exil. La date de la prochaine parution est en 1304. En tout 5 ouvrages, avec peut-être un de plus de sa prime jeunesse vers 1283 (18 ou 23 ans).

Dante est un chercheur en poésie.

Il crée une langue magnifique, nette, précise, brève, pittoresque. Ennemi de la phrase, il abrége tout. Il fait passer de son esprit dans les autres esprits, de son âme dans les autres âmes, de ses idées, de ses sentiments, de ses images, et tout cela par une sorte de directe communication, presque indépendante des paroles. : Il entasse les comparaison les plus libres de style, les allusions, les termes de l'école et les expressions les plus basses : rien ne lui paraît méprisable.

C'est une définition de ce qu'aujourd'hui en tout cas on entendrait par le terme de poésie, alors qu'à l'époque il n'en était pas du tout de même : la poésie italienne était un reliquat de l'art des troubadours albigeois et leur présence avaient suscité la création de plusieurs écoles qui s'étiolait faute de renouveau.

La principale école était l'école sicilienne qui était d'un conventionnalisme étouffant. Sans sentiment personnel. Tout était réglé, les formules étaient toutes faites.

Une autre école était l'école Bolognaise, qui consciente du problème cherchait une solution en voulant injecter de la métaphysique. Mais du même coup, le poème à la sauce bolognaise cessait d'être sentiment pour devenir spéculation.

Que dire des autres tentatives compliquées de métriques et de scolastique envahissante ?

Il créait autre chose, de nouveau et cela était si brillant que le Dolce stil nuovo allait trouver ses lettres de noblesse. Les plus grand poètes florentins, (Guido Cavalcanti, Lapo Gianni, Cino da Pistoia), de loin ses aînés, allaient  faire de ce jeune homme leur chef de file. Jamais poésie n'avait été si forte, jamais une poésie allait à ce point marquer l'histoire de son art. Aujourd'hui encore Dante est considéré comme un maître, et son héritage est incontestable.

Sur les 14000 vers que représente la divine comédie, seuls 10 semblent boiteux selon l'avis des plus grands spécialistes !

Qui plus est, fait extrêmement rarissime à l'époque, Dante délaisse la langue Latine qu'il juge trop élitiste, pour s'adresser au plus grand nombre avec la Madre lingua, un des dialecte de « si », la langue florentine.

Sa poésie ne traite que d'un seul et unique sujet : l'amour ! Qui visiblement est directement issu de l'amour courtois de la chevalerie il dit même :

« Quand amour soupire au-dedans de moi, il me dit quelque chose que je note et dont je cherche le sens »

 Io mi son un che, quando / Amore spira, noto ed a quel modo / Ch'ei detta dentro, va significando car il reconnaît que ses vers lui tombent directement du ciel, par grâce divine. Le sentiment prime sur l'intellect.

Revenons sur La Vita Nova, un livre incontournable pour appréhender Dante. Il y expose sa conception de l'amour. Ou plus exactement, il nous parle de Béatrice. LE personnage important dans l'œuvre de Dante.                   

Le 1er mai 1274, Dante avec le peuple Florentin fête le printemps, il est tout jeune et il rencontre Béatrice (Portiniari) dans une fête d'enfant, il ne la reverra pas avant d'être un jeune adulte, près de 10 ans plus tard, en la croisant dans la rue. Il a eu alors la certitude qu'en fait sa première rencontre avec elle le condamnait à subir un amour qui a pris sur lui un empire si absolu qu'il fut contraint d'accomplir toutes ses volontés.! Donc il la croise dans la rue et elle le salue. Aucune parole significative n'a encore été échangée entre eux. Ni à ce moment, ni jamais d'ailleurs. Mais elle l'a salué. A la suite de cet épisode si poignant, il en vient à faire un rêve : un homme force Béatrice à manger le cœur de Dante qui est tout en flamme. Il semble que Béatrice s'est mariée vers ce moment-là mais Dante n'en a été troublé d'aucune manière. Un autre jour dans une église, il a vu de loin Béatrice, de loin, elle était à l'opposé du lieu où il se trouvait. Il est entré en contemplation. Mais entre lui et elle, était placée une jeune fille fort belle. Tout le monde sachant que Dante était amoureux, mais ignorant qui était l'objet de toute son attention, a pensé que c'était elle, cette dame écran, le secret amour de Dante. Désireux de garder le secret, il ne contredit pas l'affirmation, à tel point que Béatrice à la longue s'y est perdu, et que lors de leur dernière rencontre, Béatrice refuse de saluer Dante et se moque de lui. Très vite, Béatrice vient à mourir, laissant Dante désespéré. Un jour qu'il  pleure dans sa chambre au souvenir de Béatrice, une jeune fille qui ressemble curieusement à Béatrice le voit d'un balcon voisin, compatissante, elle lui sourit et il finit par lui rendre sourire, lui écrire un sonnet, (on comprend ce que cela veut dire, et il n'y a d'ailleurs aucun doute possible à ce sujet). Dépité par son action, il en tombe malade et pendant son délire, il a la vision de Béatrice telle qu'il la magnifie. Cela lui inspire cette réflexion :

«j'espère, si Dieu me prête vie, pouvoir dire d'elle

ce qui ne fut jamais dit d'aucune ». 

Cette histoire est belle, elle ferait le succès d'un roman à l'eau de rose, si on n'entrait dans le Polysensum.

Et qui dit Polysensum, dit ésotérisme. Or, qu'en est-il ? Dante avait-il accès aux rites initiatiques ? Etait-il éclairé ? Il est indéniable que Dante faisait partie d'au moins deux ordres initiatiques : les Fideli d'Amore et les Fede Santa.

(Sans doute a-t-il été parrainé dans l'initiation par Guido Cavalcanti, vers 1285.)

Pour expliquer le mystère Béatrice, je m'arrête quelque temps sur les Fideli d'Amore.

Très présent au XIIème siècle, les Fideli d'Amore disparaîtront bientôt ou plutôt, évolueront naturellement vers autre chose au gré des consciences d'un autre temps ou d'un autre lieu.

Directement issu des croisades et des échanges spirituels avec d'autres initiés, l'initiation à l'ordre des Fideli d'Amore repose sur un secret entre le fidèle d'amour et Dieu.

 

- Amour par rapport à la beauté et au cœur

- Amour visible devant apprendre à lire la règle de l'amour divin dans le livre de l'amour humain

- Rencontre amoureuse entre le divin et l'humain afin d'en arriver à l'ultime recherche :

- la vision directe de la divinité dans une forme humaine belle à contempler, sans que la rencontre ne soit pervertie ni par le trouble ni par le tumulte de la nature charnelle.

Ainsi, lorsqu'il y a rencontre avec la beauté terrestre, le futur initié prend conscience de cet horizon, il se met en marche. L'« illumination » des fidèles d'amour, c'est donc voir l'Ange, c'est contempler ici une jeune fille à la ressemblance de sa propre âme sous sa Forme théophanique, et de fait arriver à voir le visage de beauté de l'Etre divin dont le visage de l'être aimé transfiguré  porte les traits.

                                  

 

 

Quant aux Fede Santa, cet ordre de portée initiatique et plus secret encore que les Fideli d'Amore, (il y a d'ailleurs une respectable loge Fede Santa  N°487 qui travaille au Rite Écossais Rectifié à l'Orient d'Aix-les-Bains) Dante est sûrement devenu l'un des grands Maîtres de l'ordre, qui vraisemblablement ne peut se concevoir que comme un Tiers Ordre des Templiers qui naîtra suite à leur dissolution de 1307 à 1314. Ce serait une résurgence du Temple qui sera plus tard vraisemblablement transformée en rosicrucianisme.

 

Dante est un initié, ce qui signifie que quelque soit l'ordre auquel il a été initié, il a eu accès aux symboles, aux secrets qui quoi qu'on en dise, se retrouvent toujours dans toutes les initiations, à travers les temps et au delà de la géographie. Edouard Shuré nous intime d'ailleurs cette réflexion avec ses grands initiés. Il par de rama, jusqu'à Jésus, en passant par Moïse, Pythagore, et toujours les mêmes éléments servent de base de transmission. De plus c'était un chercheur, un curieux dans toutes les autres recherches spirituelles religieuses, un adepte de ce que les anciens appelaient les petits et les grands mystères.

 

Béatrice vous l'avez compris est son aimée qui doit lui faire voir la beauté divine, Béatrice, dont la traduction en Italien est tout à la fois un nom propre, un nom commun et un adjectif : Il a à voir avec la béatifiante, celle qui fait entrer en Béatitude.

 

Commençons à évoquer le quatro sensi autour de ce sujet, sans pour entrer dans les détails, il y en aurait trop à dire.

Je vous ai déjà évoqué le sens littéral : cette belle histoire d'amour !

S'intéresser au sens histrico-politique  revient à s'intéresser à qui est Béatrice, à son état civil, nous renvoie à l'étude de cette Florence de 1300, les affrontements sanglants, l'engagement politique de Dante, ses relations contemporaines pour y arriver, le rapport social entre la papauté et l'Empereur et tomber sur son message d'espoir qu'il faut construire une société meilleure

S'attarder sur le sens philosophico-théologique : c'est peut-être concevoir que Béatrice représenterait la Théologie, en opposition à cette jeune fille qui, après la mort de Béatrice, alors que Dante était en pleur à sa fenêtre compatissait aux larmes du poète. Face à cette jeune fille Dante a éprouvé, à cause de sa ressemblance avec Béatrice, une sorte d'amour, qui l'a profondément blessé par la suite, et qui lui a laissé un sentiment de s'être égaré et trompé. Cette jeune fille, il nous dit très clairement dans Il Convivio qu'elle représente la Philosophie.

 

«Je dis et affirme que la dame que j'aimais, après le premier amour, fut la très belle et très honnête fille de l'Univers, à laquelle Pythagore imposa le nom de Philosophie ».

 

S'intéresser à ce deuxième point revient à réfléchir sur le fait que si l'on fait une recherche en théologie, la philosophie nous aide-t-elle à y parvenir où nous en éloigne-t-elle. Quels sont les rapports que ces deux sciences peuvent et doivent entretenir ?

Quant au sens Esotérique, que dire de plus du Chiffre 9 qui est étroitement lié à cette Béatrice, en fait, Béatrice est le 9 : Dante a 9 ans quand il voit pour la première fois Béatrice, Béatrice elle-même est alors dans sa 9ème année. C'est 9 ans après que Dante rencontre Béatrice dans une rue, et qu'elle le salue pour la première fois. C'est exactement à la première heure des 9 dernières heures de la nuit que Dante rêve d'elle, lorsque plus tard Béatrice lui refuse son salut, c'est exactement à la 9ème heure du jour, c'est le 9ème jour, du 9ème mois de la neuvième décade que Béatrice meurt. Dans la quatre-vingt unième année du siècle... Et je ne doute absolument pas que quiconque se penchera d'avantage sur ce point trouvera encore de fort nombreuses corrélations avec le chiffre neuf. S'intéresser de près à la portée initiatique de ce 9, le carré de la trinité, représentant l'unité divine absolue, constater que la racine de ce mot est la même que le Novus latin qui représente l'esclave récemment acheté ou qui représente aussi le débutant en toute chose, constater encore que cette même racine est celle du Novio (fiancé), c'est comprendre que Dante en tant qu'initié et qu'éveillé, prend aussi à son compte la numérologie et la décade de Pythagore.

Considérer donc ces quatro sensi, correspond donc à considérer entièrement la problématique du cosmos, à entrevoir les réponses aux questions que l'on serait   amené à se poser, à participer activement à la recherche de Dieu, en n'oubliant pas de se préoccuper de ce matériel qui nous entoure, des enjeux politiques dont notre vie est truffée, de prendre en compte la science (qui peut nous y aider), de concevoir la purification initiatique que cela suppose. A chercher non pas dans l'absolu mais en être humain qui d'une part a une vie à remplir sur terre et qui a d'autre part à s'occuper de son âme.

Considérer ces quatro sensi, c'est considérer que l'ésotérisme sans toute la portée des autres sens est une chose vaine si l'on veut être un initié, c'est réfléchir à toutes les portées croisées du récit pour construire, et tirer de nouvelles conclusions qui ne nous seraient pas parvenues avec un raisonnement univoque. Pour que ces conclusions ouvrent d'autres chemins de recherche selon la loi des correspondances de la table d'émeraude qui elles-mêmes débouchent sur de nouvelles conclusions et ainsi de suite.

Toujours est-il que Béatrice est l'orient de Dante, c'est d'elle que doit venir son salut. Et c'est d'ailleurs suite à son intervention depuis le ciel, auprès de Dieu pour sauver Dante que celui-ci va vivre son épopée dans les trois mondes : de l'enfer, du purgatoire et du Paradis : Il est à sa recherche, elle deviendra d'ailleurs son guide au purgatoire et dans une partie du paradis, jusqu'à l'aboutissement de la rencontre avec Dieu.

Nous en arrivons tout naturellement à évoquer la pièce maîtresse de l'œuvre de Dante : La Comédie puisque ce n'est que près d'un siècle et demi plus tard, lors d'une réédition vénitienne qu'il lui sera attribué l'adjectif divine.

Essayons de brosser le polysensum de La comédie.

 

Littéral :

 

Dante parle de son expérience à la première personne, il précise que ce n'est pas une fiction mais un récit, que cet épisode se passe au début de la semaine sainte en 1300, et qu'il se force à tout nous raconter en essayant de ne rien omettre.

En voici les trois premiers vers :

 

Au milieu du chemin de notre vie,

Je me retrouvai dans une forêt obscure

Car la voie droite était perdue....

 

                                Nel mezzo del cammin di nostra vit

                                   Mi ritrovai per una selva oscura,

Ché la diritta via ea smarrita.

 

Dans cette forêt, il ne sait comment il s'y retrouve, tant il est plein de sommeil, il entrevoit alors, au-delà des arbres, la cime d'une colline ensoleillée, où il voudrait bien sûr aller, où il sait qu'il doit aller, parce que chacun doit y aller, mais trois bêtes terrifiantes se dressent sur son passage : une panthère, un lion et une louve. A ce moment une ombre ayant toute les apparences d'un vivant apparaît près de lui, pâle et bienveillante : c'est Virgile, son maître en poésie. Virgile lui dit que le chemin qu'il veut prendre est trop dangereux car les bêtes l'assailliront et le tueront et qu'il lui serait préférable de prendre un autre chemin. Ce chemin, il veut bien lui indiquer et même l'accompagner dans ses pérégrinations. Dante n'a pas le choix : pour sortir de ce mauvais pas, il lui faudra passer par les trois règnes : les traverser de fond en comble, l'un après l'autre. Il va d'abord falloir passer l'enfer, descendre sous la croûte terrestre par une ouverture dans un endroit non déterminé, dans une immense caverne, dans un vaste entonnoir à neufs étages, les neufs cercles concentriques où règne l'obscurité, le bruit la puanteur, et sur la parois desquels sont répartis les damnés jusqu'au fond. Le récit des damnations ne me semble pas le plus important, il n'y a pas là des débauches d'imagination pour inventer des tourments, non, ce qui semble le plus important est cette volonté absolue de rencontrer l'autre. L'âme de l'autre, le mort, pour pouvoir deviser avec lui. Les rencontres sont alors nombreuses : des contemporains civils, politiques ou religieux, des héros, des légendes, des mythes. Voir, écouter, rencontrer pour arriver, certes ayant subit l'effroi, l'évanouissement, le dégoût, la révolte, mais  malgré tout simplement. Sans gros effort. Simplement. En un jour et une nuit, d'un pas de promenade, ils arrivent au centre de la terre où est Lucifer. Il leur faut le contourner en s'accrochant aux poils de son corps glacé, afin de remonter, à travers un boyau obscur, à la surface de la terre au antipodes du point où ils sont partis. Là ils arrivent, à l'air libre dans le soleil du petit matin, au pied de la montagne pyramidale qui est seule au milieu des eaux. Il leur faut la gravir. Escarpée, elle contient neuf étages, cercles concentriques qui composent le purgatoire. Le premier étant l'anté-purgatoire, le sept suivants : le purgatoire en lui-même et le dernier le paradis terrestre. Sur les corniches sont aussi les pénitents. Et toujours les rencontres et les discutions, mais aussi les apparitions divines et angéliques. Arrivé à l'orée du paradis terrestre apparaît Béatrice, morte donc depuis pas mal d'années, Béatrice qu'il arrive enfin à évoquer dans les termes qu'il s'était fixé. Virgile a disparu laissant à Béatrice le soin de le guider dans le reste du voyage. (Puisque ayant vécu avant la naissance de Jésus, il n'a pas pu croire en lui et donc il ne peut prétendre au paradis) Il n'y a plus maintenant qu'à s'élancer du sommet du purgatoire vers le ciel empyrée : le Paradis. S'en suit une élévation dans les sept cieux représenté par les sept planètes du système solaire, puis le ciel cristallin et enfin l'empyrée lui-même avec les neufs cercles, les neufs gradins emplis par les bienheureux. Et toujours les rencontres et les discussions avec son entourage ou son guide. Son guide qui a tout appris de Dieu et qui donc peut satisfaire à la curiosité du poète. Tout cela le fait avancer sûrement vers l'Empyrée. Là, Béatrice disparaît à son tour, remplacée par Saint Bernard. Face aux neufs gradins dans lesquels elle a repris sa place, et après une prière du guide à la sainte Vierge, la sublime vision de Dieu lui apparaît, dans un éclair surpassant tout ce qui peut se dire. Le poème s'arrête alors. Ni la vision, ni le retour sur terre n'est raconté.

...voir la suite sur Dante (suite)...

 



23/10/2007
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