Lilith

 

 

lilith

 

 

Comme chaque 6 mois, les mots se faufilaient entre nous, les têtes oscillaient de droite puis de gauche, l’oreille se tendait, les yeux s’écarquillaient, un hochement de tête et puis à nouveau la scène se répétait. Les deux syllabes qui glissèrent enfin dans mes oreilles, n’évoquaient rien pour moi, mais j’aimais leur musicalité .Il me fallut attendre encore quelques heures avant que le dictionnaire des symboles ne satisfasse ma curiosité. Lilith. Ce que j’y trouvai me rendit fort perplexe. Pourquoi l’avait-on choisi comme sésame pour les mois à venir, quel chemin, l’obédience voulait elle nous faire parcourir. Je souhaitais  pénétrer ce symbole. Le choix m’interpellait .Comment avait-il été choisi et pourquoi l’avait-on retenu ?

 

Lilith est un personnage mythique issu de la tradition hébraïque. De tous les textes constituant la Bible, seul le livre d’Isaïe composé  huit siècles avant J.C. la mentionne. Dans le Talmud et le Zohar, commentaires des Ecritures et approche de leur signification mystique, Lilith est souvent citée. Vers 180 avant l’ère chrétienne, les différentes caractéristiques de Lilith nous sont finalement parvenues, regroupées en une tentative de cohérence dans un texte rédigé en hébreu et intitulé :

 

« Alphabet de Ben Sirah ».

 

En voici la substance :

 

Après que Dieu eut créé les ciels et le monde, planté un jardin en Eden, peuplé d’animaux les eaux, les airs et la terre, il créa l’homme. Homme et femme il les créa et leurs noms étaient Adam et Lilith.

Ils avaient été créés concomitamment, dans une parfaite égalité. C’était la fin du sixième jour. La manifestation atteignait sa plénitude. Dieu pouvait chômer le septième jour et se reposer sur les humains conçus à sa ressemblance pour la prise en main de la création, sa gestion, sa prospérité, sa direction et sa maîtrise. La cohabitation entre les deux créatures aurait pût être édénique. Or il advint qu’un différent s’éleva entre Adam et Lilith. Le prétexte en était la position relative de l’un et de l’autre au cours de leurs rapports sexuels. Lilith refusait de le vivre toujours dans la même attitude .Adam de son côté, s’obstinait à exiger la suprématie que lui conférait sa virilité .Il se plaçait systématiquement au-dessus de la femme pour l’aimer .Celle-ci maintenant ses revendications égalitaires le désaccord s’amplifia et s’envenima .Après de longues négociations restées stériles, Lilith en dernier recours, prononça le nom de l’ineffable .En réponse il lui poussa instantanément une paire d’ailes

 

Grâce auxquelles elle s’enfuit par les airs du jardin d’Eden. Adam la chercha partout. Finalement désespéré, il implora le créateur de lui rendre sa compagne. Celui-ci délégua trois de ses anges en quête de Lilith- à charge pour eux de la convaincre de regagner l’Eden .Elle Resta intransigeante et insoumise et refusa .La sentence fût prononcée : elle produirait une nombreuse descendance et cent de  ses enfants mourraient chaque jour. Horrifiée par la sévérité de la condamnation, Lilith tenta de se jeter dans le fleuve. Elle voulait mourir. Les trois anges la retinrent et émus lui accordèrent, pour compenser la cruauté du Châtiment, un pouvoir de vie et de mort sur tous les enfants nouveaux nés , qui s’exercerait pendant huit jours après leur naissance pour les garçons et 21 jour pour les filles. Sur les enfants nés en dehors du mariage son pouvoir serait illimité. Elle s’engageait en contrepartie à ne pas l’utiliser chaque fois que l’enfant porterait une amulette représentant soit les anges, soit une figuration de Lilith elle-même, soit encore l’inscription d’une prière ou d’une objurgation propre à l’éloigner.

Accablée mais têtue, Lilith s’en fut dans le désert ou elle se lia avec Amaël, chef des anges déchus qui régnait sur le monde des ténèbres.

Pendant ce temps, au jardin d’Eden, Adam subissait la fameuse ablation de la côte.

Lilith conçut une vive rancœur à l’égard de la nouvelle femme de son ex- mari .On dit que c’est par jalousie qu’elle devint meurtrière des enfants d’Eve.  Sa nombreuse descendance démonique peupla la terre comme les anges peuplent le ciel .Sa douleur et sa colère s’exprimaient en longues et lugubres lamentations qu’on entendait la nuit par toute la terre.

 

J’étais anéantie…Qu’avais-je à voir avec cette Lilith ?

Certes, j’étais devant une formulation poétique et dramatisée. Mais je savais que chaque mythe est une révélation sacrée, initiatique, religieuse   métaphysique et que Les mythes sont des énergies gravées dans chaque cellule de notre corps.

Quelle ouverture secrète les énergies du cosmos voulaient-elles déversées en mon sein, dans quel anneau magique m’avaient-elles intégrées ?

Compagnon, j’avais été ce voyageur nomade, curieux, à l’affût des signaux pour mes cinq sens, j’avais accepté de me perdre dans les arcanes du pouvoir, maintenant il me fallait passer de l’élite à Lilith.

 

J’étais devant un labyrinthe, mais sans en percevoir la porte d’entrée, au cœur du problème, en pleines ténèbres.

 

Qu’avais-je à comprendre ?

 

Ce thème me ramena de suite à toutes mes interrogations du moment sur notre ordre, sur mon engagement, sur mon cheminement, sur ma foi. En tant qu’initiée, je devais en comprendre le sens et l’essence.

Les mots de semestre représentaient la clef nécessaire pour entrer dans le temple, c’est par lui que nous avions la possibilité de quitter le monde profane pour entrer dans le monde dit d’initiés. Pourquoi nos hautes instances avaient-elles choisies ce nom qui sentait le soufre ?

Il me fallait, séparer le subtil de l’épais. J’allumai ma lanterne et me préparai, bien décidée, à percer le mystère de cette Lilith.

 

Le pèlerin innocent se mit en route…il ne savait pas encore ce qui l’attendait mais il se souvenait de cette tenue où Lilith s’était arrêtée un court instant et lui avait soufflé à l’oreille : tu dois leur dire…

 

Oui mais quoi et pourquoi moi !

Je me sentais concernée, cernée avec !

 

Malheureusement dans un premier temps, ma réflexion sur le sujet se retrouva confrontée à un tout autre sujet moins philosophique celui-là : on me diagnostiqua un cancer du sein. Sur le moment, je traitai ce problème en oubliant quelque peu ma Lilith.

 

Dans le parcours du combattant qui suivit je rencontrai sur mon chemin un  médecin avec qui je tentai d’élucider l’origine  de ma maladie. Dans un des ouvrages qu’il me conseilla, quelle ne fut pas ma surprise de trouver dès le premier chapitre cette phrase :

 

« Lilith a qui il manque la bonne graine d’amour pour qu’elle devienne terreau d’un nouveau corps, archétype physique de l’homme renouvelé… »

 

C’est à ce moment là que je compris que j’étais entrée dans le labyrinthe :

 

Voilà pourquoi je voulais l’aimer cette Lilith, voilà ce qui m’avait manqué dans mon parcours maçonnique, une relation basée sur le cœur,

 

Uniquement sur le cœur ! Comme j’avais haï toutes ces querelles, comme elles avaient trahies mon engagement, comme elles m’avaient poignardées en plein cœur, comme elles m’avaient bloquées dans mon élan vital : lorsque j’étais entrée à Léonard tout allait bien dans ma vie, j’étais rassemblée, forte, heureuse dans ma vie privée et professionnelle. C’est ensuite que tout avait volé en éclats. Que c’était-il passé ? J’avais revêtue une robe noire et ma vie le devint  peu à peu. Devais-je arriver à ce jour pour m’en apercevoir alors que je travaillais sur Lilith, synonyme de lune noire….

 

J’étais là, dans les terres noires, dans cette même terre adamique de laquelle Lilith avait su s’exiler.

De qui ou de quoi devais-je me défaire ?

 

Moi aussi, il me fallait faire le tri,  travailler cette materiæ prima pour séparer, décomposer, dissoudre tous les éléments qui me minaient, me séparer de toutes les influences sociales ou éducatives qui m’avaient limité, aller à la rencontre de ce centre que Jung appelle la personne. Etre comme le personnage de l’arcane sans nom dans le tarot de Marseille, celui qui est dans la terre en mille morceaux, en pleine décomposition.

 

Je n’étais plus qu’une chose vide de toute substance, je me sentais aussi nue que mon crâne dépourvu de sa toison.

 

Lilith, Oh ma Lilith ! Toi qui fût si rapidement, lors de mes premières recherches cité du couvent traitée de putain de la maçonnerie, merci de m’avoir donnée cette opportunité de continuer mon travail sur le feu, première planche d’apprenti.

C’est en philosophe par le feu que je parlerai aujourd’hui, car après avoir en tant que compagnon chanté « gloire au travail », en vous amenant plus loin que le pouvoir,   je souhaiterais maintenant aller plus loin que ce qui est visible : je vais ce soir, ma belle Lilith te débarrasser de toutes tes impuretés. Les écris étant peu nombreux, je me dis que c’est en moi que je trouverai la réponse. Lilith m’avait appelée, pourquoi ? Pour entrer dans cette philosophie, je décidai de descendre en moi, de lâcher prise, d’admettre mon impuissance, d’accepter ce rien, d’accepter que s’allume ce feu secret et que se découvre le lien entre ce feu secret et ce que je devais travailler.

 

Dépoussiérer la personna à laquelle je n’étais plus identifiée, fût chose aisée :

9 mois de chimiothérapie et de radiothérapie eurent raison de mes dernières réticences.

 

Pour les alchimistes, cette œuvre au noir constitue la partie la plus délicate du Grand Œuvre .Nul ne peut se passer d’elle qui désire abandonner en route ses oripeaux inutiles, accéder au cœur de l’essentiel, passer de l’autre côté, sur le versant de la plus intense lumière, se dépasser lui-même et accéder à la conscience pure.

Comment cela se ferait-il sans souffrance, sans sacrifice, sans douleur ? Comment ferions-nous l’économie de cette déchirure qui nous fait passer de l’existentiel à l’essentiel ? 

 

Lilith est une femme qui peut nous permettre de franchir des paliers. Plus on va creuser dans le mythe, plus on va toucher des couches de plus en plus profondes de notre conscience. Allons-y à pas mesurés :

 

« Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre philosophale. »

 

Interpréter Lilith en astrologie revient à rechercher par une nouvelle lecture de tous les éléments en rapport avec la lune, les moyens dont chacun dispose pour ressusciter la lumière de l’Esprit enfouie au cœur de sa nature. L’étude de ce symbolisme nous guide vers notre centre, vers notre axe individuel, à la rencontre de l’axe du monde, à la redécouverte du paradis perdu.

 

La lune noire nous amène à jouer au jeu de la vérité, à déployer les ailes de notre âme toujours plus grandes, pour entrer dans la lumière de notre propre existence.

 

Le choix de Lilith est donc celui de l’évolution, celle de la mort de l’expérience formelle qui laisse naître le sens, le chemin du retour dans les plans plus subtils de l’Esprit. Plus que légitime, la revendication égalitaire de Lilith est l’expression de sa fidélité au devoir qu’impose à l’homme sa nature divine.

 

En réponse à son appel à l’arbitrage de l’Ineffable, Lilith reçoit des ailes.

Cette mutation nous confirme que le principe matriciel peut et doit s’élever, accéder à l’élément « air » et non se cantonner à l’élément féminin « terre ».Ces ailes  lui donne accès à la transcendance, alors que l’intransigeance machiste d’Adam la cantonnait au rôle de procréateur de formes. L’harmonie universelle transposée sous la forme de paradis terrestre n’est plus de ce fait l’axe du monde. Le principe d’égalité du masculin et du féminin, ainsi trahi, son lieu privilégié d’application, l’Eden, n’a plus de crédibilité. Lilith le quitte et  sauve l’espoir de l’accomplissement de l’Unité.

 

 La terre noire édénique au sein de laquelle voulait la retenir Adam est l’élément féminin inférieur. Quittant le paradis terrestre, Lilith se réfugie au bord du fleuve, de l’eau, élément féminin supérieur qui dissout et transporte le sel de la terre.

Sa fonction s’apparente à celle du mercure alchimique, solvant principiel source de vie, moyen de purification, lieu de ressourcement. Lilith tente  même de s’y noyer, pour y mourir, pour y dissoudre son constituant terrestre afin de libérer le souffle divin qui l’anime.

Elle renonce par ce geste à sa place au sommet de la manifestation. Les anges ne laissent pas s’accomplir l’irréparable. Ils retiennent Lilith et lui confirment le caractère indispensable de sa présence dans le monde.

 

Elle  choisira la hauteur, la sublimation, la verticalité, le silence. Ce qui est passé sous silence appartient au domaine du secret. Secret et silence, deux mots liés. Le secret nous ramène aux rites d’initiation qui sont du domaine de Lilith. Lilith se tait pour ne pas révéler les mystères dont elle est porteuse et qu’elle ne connaît pas par savoir mais par instinct, par cette expérience innée qui ne passe pas par l’intellect. Silence évocateur de la Sphinge, poseuse d’énigmes, au regard exigeant des réponses et qui sanctionne l’erreur par la mort. Elle laisse  à Adam la possibilité de partir à la quête du Graal, d’accepter de rejoindre cette part féminine de lui-même qui lui donnera accès à son propre mystère, à son propre inconscient, à ce qu’on appelle l’anima.

 

Si la confrontation avec l’ombre est l’œuvre du compagnon, disait Jung, la confrontation avec l’anima est celle du maître.

 

Tout ce qui touche à l’anima est numineux, c'est-à-dire inconditionné, dangereux, tabou, magique. On comprend dès lors la peur et le rejet dont est victime Lilith. Car elle nous engage dans les profondeurs de l’inconscient, au plus proche de notre nature secrète et profonde. L’anima lune noire-Lilith nous met en contact avec le mystère, elle le révèle pour nous ; elle nous relie au passé, nous montrant ce qu’il y a de plus archaïque en nous. L’anima doit rendre compte de la multiplicité de l’inconscient  et du monde et en permettre l’intégration. Elle va de l’extérieur vers l’intérieur, car l’Unité est au centre.

 

Lorsque Lilith est rattrapée par les anges de Yahvé, elle se défend en protestant contre la mauvaise querelle qu’on lui fait et l’injustice dont elle est victime. Comment peut-on la menacer de tuer chaque jour cent de ses propres enfants alors qu’elle a été créé pour tuer ceux que d’une certaine manière Yahvé lui désigne !

Parce que le sacrifice verticalité la condition humaine, elle sera l’instrument de leur rédemption. Sacrifier signifie faire du sacré, sans lui pas de passage vers la transcendance, pas d’initiation, pas de dépassement, ni d’échanges avec les forces divines. Et Lilith est là pour engendrer le Fort !

 

 Contrairement à l’homme,  Adam, qui a chuté, Lilith s’est envolée d’elle-même, grâce à ses ailes, comme un ange et n’a jamais été chassée du paradis.  Lilith est immortelle .Lilith est. Elle a cela de commun avec Dieu. Dieu est  celui qui est.

 

Les mois passaient, j’étais toujours retenue dans ma chambre qui était devenue mon laboratoire au sens latin du terme, laborare, travailler et orare, prier. Il n’y avait plus d’avis de tempête en moi. Le calme était revenu. Le monstre étant vaincu, je sortis du labyrinthe. C’était le printemps. Je décidai de  planter une nouvelle graine de vie.

 

Lilith, toi qui fut ma carte de navigation d’accès à ce monde nouveau, j’entends maintenant  ce que tu m’avais demandé de leur dire:

 

Oser vivre, oser aimer, oser être…

 

 

Nadine BRO:.

26 /09/6006

G.L.F.F



15/11/2007
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