« Que la beauté l’orne ! » (1206.6024)
Lors de l’ouverture des travaux, le V:.M:. nous exhorte à ce que la sagesse préside à la construction de notre édifice, à ce que la force le soutienne et à ce que la beauté l’orne (1).
Si nous comprenons aisément le bien fondé des deux premières vertus (2), nous pouvons en revanche être surpris de la référence à la beauté, éminemment relative et subjective, et qui pourrait donc être considérée comme secondaire, comparativement aux deux autres, pour un aussi grand dessein.
Mais il n’en est rien. Bien au contraire. Vitruve (3) nous indique que « pour bien ordonner un édifice, il faut avoir égard à la proportion ». Proportion « qui se trouve, entre une certaine partie des membres et le reste de tout le corps de l’ouvrage ». Un bon équilibre entre ses différentes composantes, semble donc être nécessaire à notre construction. Corps et esprit doivent prendre leur juste place. Il ne s’agit pas de laisser libre cours à des passions matérielles dévorantes, mais il n’est pas non plus nécessaire de sombrer dans l’ascèse monastique. Notre esprit doit être préservé de toute exaltation fébrile (4) sans pour autant que notre corps ne soit soumis à trop de sécheresse et de rigueur. Modération et tempérance doivent nous guider en cela. De façon plus générale, l’écoute bienveillante et compréhensive de chacune de nos facettes en vue de s’assurer qu’elles puissent s’exprimer justement sans excès les unes et les autres permettra le développement équilibré et harmonieux de l’édifice. Pour ce faire, il est judicieux de les rassembler et de les unifier en préférant à toute chose la Justice (5) dans les arbitrages personnels et intimes que nous sommes amenés à faire. Point de débauche, mais pas non plus d’austérité excessive. Intuition et raison, lune et soleil, sont les deux luminaires éclairant notre chemin et nous guidant dans nos choix constructifs.
Pour les Grecs, durant l’antiquité, la beauté était déjà liée à l'idée d'équilibre, d'harmonie entre le tout et ses parties. Platon considérait que le Beau était associé au Vrai et au Bien comme une des Idées (6) les plus élevées. La perception de la beauté en soi (c’est-à-dire en elle-même et en soi-même) est bien supérieure au plaisir provoqué par les beaux objets. Dans Le Banquet, a travers le discours de Diotime (7), Platon suggère un cheminement qui peut être suivit afin de s’élever spirituellement et que nous pourrions faire nôtre. Ainsi, l’homme au début de son parcours « commence par rechercher les beaux corps ». Il s’agit là, bien évidemment, de sujets du monde sensible, et donc d’objets au caractère esthétique avéré, ainsi que le pilier Corinthien, aboutissement de la décoration architecturale grecque, soutenant l’Etoile Beauté, le suggère. La perception de la beauté et de l’harmonie dans ce qui nous entoure, source de quiétude, de paix et de sérénité est un préalable à la compréhension du monde intelligible qui ne se révèle qu’à l’esprit (8). « L’homme doit ensuite se montrer l’amant de tous les beaux corps » en ce qu’ils représentent les pensées droites, justes et honnêtes. La Loi morale, issue de la Tradition, en vient à guider sa réflexion et ses jugements, envers son prochain, mais également pour éclairer ses zones d’ombre. Puis, il en arrive à devoir « regarder la beauté de l’âme », reflet des comportements vertueux, empreint de justesse et de rectitude. Il lutte désormais contre le vice et les mécréants qui pourraient essayer de venir attenter à son développement tout comme à celui de la cité. Il s’inspire du sentiment d’équité, vise au nivellement des inégalités et contribue à élever l’état moral des individus de la société (9). Enfin, ayant « affermi et agrandi son esprit par ces sublimes contemplations » il parvient à celle de la Beauté en soi, c’est-à-dire de la Connaissance.
La beauté est donc bien plus qu’une des caractéristiques du sujet. Elle qualifie la valeur morale de l’individu. La contemplation de la beauté est directement liée à son perfectionnement et à son élévation spirituelle. Être beau, ou devenir beau, cela consiste à s’élever vers son Idéal, à devenir ce que nous devons être. La Beauté est Vérité et Lumière. Troisième Etoile et Petite Lumière, elle a parfaitement sa place aux côtés de la Sagesse et de la Force. Le beau n’est pas simplement une question de goût ou d’esthétique, mais une réalité profonde qui transcende notre perception sensorielle. C’est par la compréhension progressive de ce qu’est le Beau qu’on va pouvoir s’élever vers l’Idée de Bien qui lui est intimement liée.
Le Beau est source de Vérité et de connaissance. Il transcende le monde sensible. Il tend vers l’idée de perfection et donc de divin.
C’est en ce sens qu’« après avoir achevé de bâtir la maison » (1Roi 6:14), Salomon procéda à la décoration du temple et que pour cela, « il couvrit d'or pur l'intérieur de la maison » (1Roi 6:17). L’or, matériau d’ornement par excellence est Lumière et Connaissance. Il représente la beauté et la perfection qui sont à découvrir au cœur de l’édifice, … en son cœur.
L:. D:.
12juin 6024