MES FRERES ME RECONNAISSENT COMME TEL (14.05.25)
Ce soir, nous allons échanger autour d’un sujet d’une singulière évidence et d’une agréable complexité et je ne doute pas que nous trouverons notre salaire dans l’échange.
Mes Frères me reconnaissent pour tel…
Mais voilà, de quoi parle-t-on ? De Fraternité, pas une seule planche en Loge a un jour refusé de parler de Fraternité ; pour ce qui est de la Reconnaissance et de ce fameux Tel, c’est dans cette voie que je vous propose d’avancer, de voyager, ensemble.
S’en remettre au jugement de l’autre en loge, le Frère ? N’est-ce pas ce que nous faisons lors de la présentation d’une planche ? Ce travail, n’est-il pas un exercice de reconnaissance que je vous adresse ?
Il est courant de commencer une planche par un bref étymologique. Retrouver le sens des mots, ou en tous cas, y revenir, permet de s’affranchir des altérations profanes, finalement de retrouver parfois un sens caché, ça tombe bien, c’est un peu pour ça aussi que nous sommes là.
FRERE : vient du proto-indo-européen « Brether » qui devient Frater en latin (Brother en anglais, Bruder en allemand), c’est, au-delà du lien familial, un terme utilisé de manière affectueuse pour désigner des relations non familiales ou un sens figuré (confrère, frère de chœur, frère d’armes, …)
Le dictionnaire étymologique de la langue française de Blanquefort en 1828 détaille sa définition ainsi : « qui est de la même tribu, de la même compagnie, qui loge sous la même tente ». Le Littré cite Voltaire dans son Traité de la Tolérance : « Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères. Quoi ! mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sans doute ; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ? ».
En grec, Frère se traduit notamment par Adelphos. Il n’échappera à personne que la racine est la même que Delphes où trônait le temple affichant le fronton suivant « Connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux ».
Sans doute faut-il entendre par là que l’on se connaisse soi-même pour qualifier untel de frère… nous y reviendrons…
RECONNAITRE : du latin recognoscere, il s’agit d’identifier une personne ou une chose grâce à des signes distinctifs ou des caractéristiques « Tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens ». Le Littré nous précise qu’il s’agit de « prouver qui l’on est par des indications certaines ». En termes militaires, il s’agit de reconnaitre qu’une troupe n’est pas ennemie.
TEL : qui proviendrait du latin Talis selon le Littré et qui indique la ressemblance, la dépendance. Il y a donc une notion essentielle de similarité. Talis est également la racine de Talion, personne n’oubliera cette célèbre loi « Œil pour œil, dent pour dent » qui s’infligent parfois… des frères ennemis.
Nous verrons au travers de mon intervention, 3 aspects de cette locution :
Sa place dans le rituel du 1er degré et ce qu’il faut en comprendre.
Sa place dans le monde et enfin sa place dans mon cœur.
La 4ème partie, sa place dans votre cœur sera à écrire telle que vous la ressentirez…
ou la reconnaitrez…
1 Dans le rituel du 1er degré (page 84)
« Mes frères me reconnaissent comme tel » que cela signifie-t-il de manière très littérale ?
Dans un premier temps, cette phrase est une réponse dans le rituel, pas une interrogation ni une figure de style.
C’est même la réponse à la 3ème question posée par le Premier surveillant au Second,
L’apprenti à 3 ans, la première fois qu’il entend cette phrase, ce n’est pas lui qui la prononce, c’est lors de son tout premier tuilage, à l’issue de l’initiation alors même qu’il n’a pas encore fait part de ses « impressions d’initiation ».
Charge à lui de s’approprier scrupuleusement le rituel lorsqu’il devra « se faire reconnaitre comme tel ». Et d’ailleurs, en ce qui concerne ce tel, les deux premières questions posent le cadre :
- Le lien qui nous unit ? La Franc-maçonnerie !
- Qu’est-ce donc ? Alliance universelle d’hommes éclairés, groupés pour travailler en commun au perfectionnement intellectuel et moral de l’humanité.
Au XVIIIème siècle (et je suis venu avec), l’instruction s’appelait « le catéchisme d’apprenti maçon », on répondait alors « mes frères et compagnons me reconnoissent pour tel »
- A quoi pourrai-je reconnaitre que vous êtes tel ?
- A mes signes, mots et attouchements
Cette phrase c’est avant tout un acte d’humilité, de modestie, la première étape de ce qu’on nous a tous demandé lorsque nous avons commencé notre chemin, c’est d’aller visiter l’intérieur de la Terre, et en rectifiant, de trouver la pierre cachée. VITRIOL toujours !
Bien sûr que l’on sait comment se faire reconnaitre franc-maçon, encore plus lorsque l’on est tuilé et que l’on est dans l’atelier avec nos décors, voyons ! C’est tellement évident !
Oui mais justement, nous devons nous affranchir de nos évidences, de nos certitudes erronées, nous devons laisser nos métaux à la porte du temple.
Les frères ne se reconnaissent pas entre eux à la lumière de ce qui brille (l’éclat trompeur ou le préjugé vulgaire), ou des degrés que l’on affiche mais bien au travers de cette nécessaire humilité, cette constante modestie qui nous permettra jusqu’au passage à l’Orient Eternel de nous remettre en question, de pratiquer l’introspection.
D’ailleurs, la quatrième question est éloquente : Pourquoi répondez-vous ainsi ?
- Parce qu’un apprenti doit se défier de lui-même et de la fragilité de ses connaissances maçonniques. Ainsi à défaut d’avoir atteint un âge symbolique qui conforte le jugement individuel, il est sage de faire appel aux lumière de ses FF :.
La maçonnerie est une méthode, bien plus qu’un dogme, elle est une école.
L’exercice est double voire triple, car il consiste à nous demander de « laisser les métaux à la porte du temple », nous aide à progresser « dans les voies qui nous sont tracées » et remet le couvert régulièrement « car le franc-maçon ne se donne aucune limite à la recherche constante de la vérité ».
Là encore, cela parait évident, mais c’est mieux de le rappeler, de le rappeler à chaque tenue – d’où l’assiduité – de se souvenir de sa propre initiation à chaque fois que nous accueillons un nouveau frère sur les colonnes. Ça nous permet de nous souvenir du chemin parcouru, de se rappeler que nous avons été aussi à cette place là, que nous avons surement progressé, plus qu’hier et moins que demain… et … que nos frères continuent de nous reconnaitre comme tel !
2 – Se reconnaitre comme tel dans le Monde
Une question serpente en filigrane, d’où vient la Franc-maçonnerie ? Je ne vous parle pas de généalogie symbolique, nous sommes tous d’accord pour établir le lien avec le symbolisme des bâtisseurs de cathédrales, et pour certains rites, avec les bâtisseurs de Pyramides…
Ce dont nous parlons beaucoup moins mes frères, ce ne sont pas les murs que l’on est capable de construire mais ceux que l’on a été capables d’abattre au cours de l’histoire !
Les premiers frères spéculatifs, ceux de la brasserie l’Oie et le Grill, qui furent-ils ?
Des catholiques et des Protestants, des gens sans doute bien installés dans la société d’alors, des notables souvent. En tout cas, des personnes engagées dans la société et disposant d’une réflexion et pas n’importe laquelle, une réflexion qui leur a fait tendre la main vers l’autre, l’alter, le différent, celui qu’il aurait peut-être fallu, dans un contexte de guerre, tuer ou neutraliser, a minima. Oui, il aura fallu aller au-delà des préjugés pour reconnaitre son frère…
La construction de la Franc-Maçonnerie a assumé très tôt son déisme (ou son théisme), c’est-à-dire la place d’une puissance transcendante qui pourrait être l’une des expressions du divin profane sans que ça ne soit forcément le cas.
En cela, les obédiences que nous reconnaissons comme telles, semblent avoir suivi des chemins différents, l’une déiste (La GLNF), l’une spiritualiste (La GLDF), l’autre plutôt agnostique voire athéiste (Le GODF).
Le message prôné alors - la Fraternité - est à contre-courant de l’époque à laquelle il a été conçu, Notre civilisation enchaine les guerres, peut-être que les siècles de guerre ont provoqué une réaction chez certains esprits éclairés. En tout cas, si le socle se veut chrétien, il est résolument adogmatique voire athéologique.
Rappelons-nous qu’il nous est proscrit d’être des « athées stupides ou des libertins irréligieux » afin d’obéir à la Loi Morale. N’oublions pas également que ceux qui ont enraciné la maçonnerie en France appartenaient souvent à ce que l’on appelle l’Ancien Régime, des princes, des aristocrates mais aussi des prélats de l’Eglise.
Qu’il nous soit permis de nous souvenir que lors de la Révolution française, il y eut des maçons des deux côtés de la guillotine. La Princesse de Lamballe en sait quelque chose comme quoi, la Fraternité n’aura pas suffi à se faire reconnaitre comme tel et assurer sa survie.
Alors oui, c’est une première révolution dans cet Occident moderne chrétien qui naissait de la Guerre de Cent Ans, des Guerres de Religion, du schisme des Papes d’Avignon, du schisme anglican… et des schismes dans les schismes (presbytériens, méthodistes, …) … cette première révolution, ce sont des catholiques et des protestants à la même table, car ils se reconnaissent frères …
Oui, le Libre-arbitre a pris le dessus dans l’adversité et c’est une petite victoire du protestantisme si l’on se place d’un point de vue de l’Eglise, cette dernière n’étant pas disposée à ce que ses ouailles pensent sans pasteur.
Les sociétés humaines qui se sont succédées depuis des siècles ont toujours vu des hommes se rassembler et s’identifier avec des codes et des rites, se qualifier de frères et se reconnaitre comme tels. Vous aviez les frères de sang, ces chevaliers qui scellaient un pacte sacré dans la bataille et devenaient inséparables ensuite et qui contribua à la construction du mythe de la chevalerie médiévale. Vous avez eu en parallèle la fraternité monastique, celle de ces religieux réguliers qui n’étaient pas prêtres et dont la vie était vouée à l’oraison, à la médecine et à la scolarité.
Un socle commun toutefois, dans ce monde médiéval dépourvu de sentiments familiaux désintéressés, c’était la recherche toutefois de trouver parmi ses semblables, ceux avec qui on partageait des expériences de vie similaires, dans l’effort, dans l’épreuve et dans le dépassement de soi et de son carcan social.
3 – Ce que je reconnais comme tel
Parler de soi est forcément un peu égocentrique, mais pas égocentré. J’ai déjà fait tomber un peu le masque au travers de mon travail. La question qui se pose est qu’est-ce que j’attends d’une reconnaissance de mes frères ?
Nous ne nous rassemblons pas pour des séances collectives de psychanalyse, même si certains le pensent…
Nous ne nous rassemblons pas pour nous persuader que nous sommes des surhommes, une éventuelle caste dirigeante qui tirerait les ficelles du monde dans d’obscures officines, même si certains y croient…
Si je n’ai surement pas pensé à l’apport épanouissant de la maçonnerie dès mon initiation (et en même temps qui l’a fait ici…), j’ai assez vite compris comment la méthode maçonnique au travers de métaux laissés à la porte du temple, participait à une forme de régénération de l’esprit.
A mon niveau, je sépare l’esprit de l’âme encore, cette dernière s’abreuvant au travers de la foi que je pratique. Je n’ai pas été élevé dans la foi chrétienne comme c’est l’usage. Mes parents, peu pratiquants, nous avaient laissé à ma sœur et moi, la liberté du choix. Ils nous ont scolarisé dans une école calviniste du 17ème arrondissement, où les cours « d’initiation protestante » étaient obligatoires mais sans entrer en religion.
C’est vers 20 ans que j’ai demandé le baptême, je l’ai reçu deux ans après car le baptême adulte – le catéchuménat – demande de la préparation. Peu de temps après, des amis me proposaient d’entrer dans une fraternité laïque de prières et de service, puis d’autres, de devenir chef scout, nouvel engagement « fraternel », nouvelles cérémonies et nouveaux rituels.
Le scoutisme porte des valeurs de partage et d’empathie fortes. Il est le symbole d’une fraternité militante et concrète, et pas forcément religieuse du tout. En cela, il y a de beaux parallèles à faire entre cet engagement et le nôtre.
Quelques années après, un ami, dont j’avais caché l’appartenance maçonnique à des connaissances plutôt traditionnalistes, me parla de son engagement et me proposa d’entre en loge. Voilà comment je suis arrivé à frapper à la porte du temple, de l’Arbre de Vie n° 1017.
Si je suis très bien parvenu à vivre ma maçonnerie de manière adogmatique, c’est aussi parce que mon salaire dogmatique (si l’on peut l’appeler ainsi) se trouve satisfait ailleurs. Par contre, nous sommes adogmatique mais surement pas aritualistes. Nos rituels symbolisent nos traditions, ces « restes » d’identité religieuse.
J’ai été touché du mot du Grand Maître pour la mort du Pape François 1er. Car si la Franc-maçonnerie n’a pas pour vocation de parler de politique ou de religion, elle sait reconnaitre un leader religieux qui est un bâtisseur de la « cathédrale de l’Humanité ».
Oui, nous sommes des bâtisseurs d’une religion de l’humanité, qui ne méprise aucun Dieu, qui n’insulte aucune religion, qui ne néglige aucune politique mais qui se borne humblement à rappeler que le dogmatisme religieux et la démagogie politique sont des passions vulgaires, ce que nous rejetons.
Car oui, mes frères de la Politique, nous en faisons, nous nous occupons de la POLIS (la cité) dès lors que nous décrétons dans la chaine d’union que notre Idéal inspire notre conduite dans le monde profane et que le socle de notre initiation reste de contribuer à l’amélioration du genre humain.
Oui, mes frères, de la religion nous en pratiquons, car RELIGERE est la base même de notre serment, relier les hommes entre eux, polir ces pierres brutes pour qu’elles s’encastrent les unes dans les autres afin de bâtir le Temple parfait. N’oublions pas que nous sommes ici dans un atelier, munis d’outils, face au temple que nous devons faire sortir de terre.
Alors mes Frères, si nos identités respectives sont nos différences et malgré les écueils de la vie qui se cache derrière chaque tablier, des frères un jour ont décidé de se reconnaitre comme tels, d’établir des rituels ne conséquence qui puissent traverser les générations, jusqu’à nous, pour que nous poursuivions l’œuvre engagée.
Depuis l’Orient éternel, nos prédécesseurs nous regardent avec sagesse et amour. Point de jugement dans leur regard mais l’intime conviction d’avoir trouvé une voie qui rapproche les hommes plus qu’elle ne les divisera jamais.
En conclusion, comme toute planche qui se respecte, celle-ci ouvre plus de questions qu’elle n’apportera de réponses.
Laissez moi toutefois conclure sur un sentiment tout personnel, s’il est bien un moteur qui rassemble les hommes au-delà de leurs différences et qui leur fait, par principe, laisser les métaux à la porte du temple ; un moteur qui incite à l’empathie, l’abandon et à l’abnégation ; un moteur qui fasse que des « Frères qui se reconnaissent comme tels » ouvrent leur cœur et leur confiance à un profane fraichement initié…
Sachez mes frères, que ce moteur… s’appelle la Foi.
C:.T:.
14 mai 6025